L'erreur des médiateurs est sans doute de penser que l'armée fédérale et la Serbie consentiraient les mêmes compromis en Croatie, où vit une forte minorité serbe. En effet, depuis le début de l'année, des affrontements, localisés mais souvent meurtriers, ont déjà opposé des policiers croates à des autonomistes serbes. La déclaration d'indépendance de Zagreb ne fait qu'accentuer les tensions et conduire à la guerre réelle après l'expiration du moratoire, début octobre.

Pour Slobodan Milosević, les choses sont claires : la Serbie n'est pas en guerre, mais elle soutient les revendications des quelque 600 000 Serbes de Croatie, qui ont le droit de ne pas vouloir vivre dans un État croate indépendant. D'autant plus que cet État veut, selon la thèse officielle, les priver de leurs droits politiques, économiques et culturels. La Serbie ne s'oppose pas, en principe, à l'indépendance de la Croatie, mais il convient préalablement de réviser et de remodeler les frontières. Selon la plupart des observateurs, il est clair que les groupes serbes de Croatie qui ont proclamé des « régions autonomes » en Krajina, puis en Banija et en Slavonie sont « téléguidés » par l'état-major de Milosević à Belgrade, l'objectif étant de faciliter l'intervention « légale », à grande échelle, de l'armée fédérale.

Face à ce qu'il considère, non sans raison, comme une agression en règle contre sa république, le président croate, Franjo Tudjman, s'efforce alors d'« internationaliser » la crise et tente d'obtenir la reconnaissance internationale de l'indépendance de la Croatie, qui a démocratiquement élu ses députés et son président. Cette offensive diplomatique consacre la désunion des Douze. Si l'Allemagne, l'Italie, la Belgique et le Danemark sont favorables à une telle reconnaissance, ainsi qu'à celle de la Slovénie, d'autres pays, comme la Grande-Bretagne et la France – relayés d'ailleurs par le secrétaire général des Nations unies, Javier Perez de Cuellar –, hésitent à prendre cette décision, de peur de jeter de l'huile sur le feu.

La Grande Serbie

La Conférence de La Haye sur la Yougoslavie, mise en place par la CEE et dirigée par lord Carrington, ne parvient pas à rapprocher Serbes, Croates et militaires qui concluent (très officiellement) quatorze cessez-le-feu, allègrement violés quelques heures seulement après leur signature... Les observateurs européens ne peuvent jamais exercer correctement leur mission. Début décembre, les Douze prennent des sanctions économiques, d'abord contre l'ensemble de la Yougoslavie, puis seulement contre la Serbie et ses alliés (Monténégro, Voïvodine, Kosovo). Certes, ils ont bien, durant l'été, songé à envoyer une force d'interposition militaire en Croatie, mais l'unanimité ne s'est pas faite et les Serbes, de leur côté, ont mis en garde contre l'arrivée de troupes européennes qui seraient considérées, dans le conflit, comme des troupes « étrangères », donc ennemies... Les ultimatums et les avertissements adressés aux dirigeants de la Serbie restent sans effet et les États-Unis ne veulent pas s'engager diplomatiquement dans un conflit sans enjeu majeur pour eux.

Alors que la CEE ne peut que rappeler les principes de la démocratie, de l'autodétermination des peuples et des droits des minorités, alors qu'elle clame que les frontières « ne peuvent être modifiées par la force », la Serbie procède à un nouveau coup de force politique à Belgrade. Après avoir tenté d'empêcher, le 15 mai, l'élection du Croate Stipe Mesić à la tête de la présidence collégiale de la fédération, elle s'empare, le 3 octobre, de certains pouvoirs fédéraux. À partir de cette date, la présidence de la Yougoslavie est réduite à son « bloc serbe » (Serbie, Monténégro, Voïvodine et Kosovo) ; les autres républiques (Croatie, Slovénie, Macédoine, Bosnie-Herzégovine) n'y siégeant plus, l'éclatement de la Yougoslavie est consacré. Slobodan Milosević s'emploie néanmoins à dire qu'elle existe toujours et que les peuples qui souhaitent continuer à vivre dans un État fédéral peuvent le faire dans le cadre d'une « mini-Yougoslavie ». Dans son esprit, ces « peuples » sont, hormis ceux du « bloc serbe », ceux des régions serbes qui se sont autoproclamées « autonomes », principalement en Croatie et en Bosnie-Herzégovine.

L'impossible cessez-le-feu

Au cours de l'automne, l'offensive de l'armée fédérale et serbe – puisqu'elle a été désertée par la plupart de ses recrues et officiers croates et slovènes – se poursuit sur plusieurs fronts de Croatie. Les fédéraux, solidement équipés de blindés et dotés d'une aviation qui n'a pas à craindre de DCA adverse, sont appuyés par des milices de volontaires et d'irréguliers venus de Serbie. Les Croates ne peuvent leur opposer qu'une garde nationale nettement inférieure en armement et également quelques unités paramilitaires que les dirigeants de Zagreb ont du mal à contrôler. De l'avis des observateurs européens, c'est une « sale guerre » qui se déroule en Croatie. Chaque camp fait état de massacres de civils dans les villages et d'exécutions sommaires de prisonniers, sans qu'il soit possible de vérifier les informations.