Jamais à court d'idées... déjà éprouvées, les maisons de disques ont fait en sorte que cette année soit celle de l'apothéose des « compils ». Les « Best Of », tous les tubes de l'été dernier (et ceux de l'été d'avant, et encore d'avant, etc.), le top de la dance-music, du classique, du rock, du synthétique, le top du top..., bref, enfin la certitude pour le consommateur de ne jamais découvrir un titre inédit caché entre deux sillons. Décidément, l'époque est vache, et la musique se rumine.
Le top 50 a perdu le papa des « p'tits clous » et, du coup, l'émission a lâché les grains de sel que Marc Toesca glissait dans le potage. La soupe devient immangeable, ce qui n'empêche pas Stéphane Eischer, ce grand poète suisse, de nous harceler à longueur... d'ondes au sujet d'un déjeuner que sa copine aimerait prendre en paix.
Machin, truc et chose se portent bien
Dans le genre méga(lo)-production, Mylène Farmer est de retour, mais cette fois elle aussi a sacrifié à la mode des duos pour s'acoquiner avec un certain J.-L. Murat. Encore deux cœurs nouveaux, du moins dans l'accouplement : Charles Aznavour est à l'affiche avec Liza Minnelli. Décidément, depuis quelque temps, le show-biz ressemble à l'arche de Noé : pour survivre, il faut embarquer deux par deux.
De son côté, Johnny, après avoir épousé la fille de son meilleur copain et enterré définitivement sa période « costard-cravate-Godard » qui avait dû finir par le faire « bayer », ah, qu'il est de nouveau rock'n'roll à mort ! Sa nouvelle célébrité par procuration a permis à la fille de Long Chris de remplacer Clo-Clo junior dans le créneau « télé-qui-fait-chanter-papa-aussi », où elle passe à cœur joie les clips – pardon, les scopitones – de son mari. Signalons que MG produit deux émissions musicales de grande qualité : RapLine et Culture Rock.
Les antistars : Cabrel, Duteil, Goldman..., machin, truc et les autres se portent tous très bien. Et quelque part, toute réflexion faite, ils illustrent parfaitement cette fin de siècle où les rêves morts se ramassent à la pelle. Bien élevés, polis, discrets, pas dénués de talent..., cette overdose de respectabilité rend nostalgiques des Sex Pistols. À quand un revival Punk ?
La musique anglo-américaine reste toujours omniprésente dans le PAF avec plus ou moins les mêmes tendances qu'en France : des duos, encore des duos, et la reconsécration des chers disparus, comme les Doors et Jim Morrison, à l'affiche cette année. Lenny Krawitz fait carrière tout comme Thierry Hazard – sur le son des « sixties ». En revanche, le p'tit prince Prince, toujours aussi sexuellement provoquant, frôle, avec le titre Cream, les sommets d'un art très anglo-américain : celui d'être d'une crudité absolue sans que la censure puisse intervenir. Si le projet de sous-titrer les clips voyait le jour, on peut se demander comment les traducteurs s'y prendraient... Cream, get on top : « Crème, monte en haut » ? Allez, un peu d'imagination ! Ici, Prince souhaite qu'un phénomène physique naturel se produise..., et il ne s'adresse absolument pas à une noix de crème tombée dans une tasse de café !
Dans la série « dix ans déjà », les éditeurs ont fêté la mort de Brassens avec une brassée de livres, dont un, remarquable par ses analyses, écrit par Jacques Vassal.
Grande année aussi pour les croque-morts avec trois clients de choix : clope au bec et verre à la main, Gainsbourg est parti rejoindre le paradis des mauvais garçons ; Mort Schuman va enfin rencontrer Elvis Presley, et Yves Montand, après un sursaut de jeunesse, a rejoint la grande Simone, qui a toujours su lui pardonner ses infidélités.
Mais derrière chaque nuage se cache le soleil : la Mano Negra cartonne toujours hors des sentiers battus des 20 h 30, et le rap-â-billy/rock, version Pont-de-Sèvres, exporte hors de nos frontières quelque chose de presque aussi attendu que le beaujolais nouveau !
Patricia Scott-Dunwoodie
Cinéma
L'absence de films vraiment porteurs durant les deux premiers trimestres de l'année (à l'exception de Danse avec les loups, de Kevin Costner, sorti le 20 février) a fait encore chuter le nombre d'entrées, qui avoisine les 120 millions pour toute la France. Cette baisse est minime comparée aux naufrages de nos voisins italiens ou britanniques. Par ailleurs, les pouvoirs publics ont fait de gros efforts en matière de restauration de salles, surtout dans les villes défavorisées, ce qui équilibre judicieusement l'érosion du parc hexagonal. Le point le plus noir demeure cependant la perte des parts du marché des films français sur notre territoire qui tombe à 35 % malgré le score estimable de productions comme Une époque formidable, de Gérard Jugnot, Delicatessen, de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, Merci la vie, de Bertrand Blier, ou Van Gogh, de Maurice Pialat.
Des talents singuliers
On note cependant la bonne tenue artistique du cinéma national. Deux des quatre films cités plus haut innovent incontestablement. Jugnot, issu du café-théâtre, se contentait jusque-là d'égratigner légèrement notre société égoïste. Avec Une époque formidable, il se fait moraliste et tragédien pour conter les déboires d'un cadre devenu clochard. Ce thème récurrent, qui démontre bien la prise de conscience de quelques auteurs pas spécialement engagés politiquement face à l'effritement de toutes les certitudes, y compris matérielles, se retrouve également chez les Américains Mel Brooks (Chienne de vie) et Terry Gilliam (Fisher King). Delicatessen, œuvre de deux court-métragistes amateurs de bandes dessinées, met l'accent, avec Lune froide, de Patrick Bouchitey (d'après Bukovski) et le Trésor des îles Chiennes, du poète F.J. Ossang, sur l'émergence d'une veine fantastique frôlant l'absurde kafkaïen au cœur d'un cinéma français en général attiré par le naturalisme.