Comme sont partis, définitivement, Laurence Olivier et Bette Davis, Bernard Blier et Charles Vanel, Vladimir Horowitz et Herbert von Karajan. Des artistes qui ne boxaient pas dans la même catégorie mais qui tous nous ont donné longtemps du bonheur. Parti aussi, le plus volontairement fou d'entre eux, Salvador Dali, administrant la preuve rassurante que même les survivants peuvent un jour se lasser de survivre...

... et du marché de l'art

Dalí le fou, qui n'aura pas vu la folie s'emparer chaque jour davantage du marché de l'art, les records se succéder, et l'État français contraint à se livrer au troc pour conserver des œuvres majeures sur notre territoire. Ainsi, en novembre, les Noces de Pierrette de Picasso (1905) étaient-elles autorisées à sortir de France et à être achetées par un industriel japonais, à la condition expresse que son propriétaire, M. Frederick Roos, un homme d'affaires suédois, offrit aux Musées nationaux un portrait célèbre du même Picasso : la Célestine (1904). Nous avons gagné un tableau capital, mais sans panache.

Le panache, on l'a trouvé ailleurs. Là où le plus souvent il est absent. À la télévision, qui, soudain, retrouva sa noblesse, sa dignité, sa foudroyante supériorité sur tous les autres médias. La télévision qui nous faisait vivre en direct, dans les larmes et dans la joie, la fin du mur de Berlin ou le calvaire libérateur des Roumains. Et, presque à l'ultime jour de l'année, l'élection à la présidence de la République tchécoslovaque du dramaturge dissident Vaclav Havel. Ce fut le dernier symbole de 1989. Et l'on réalisa enfin que la Révolution française avait tout de même formidablement réussi son anniversaire, enfantant à l'Est une grande fratrie de libertés nouvelles.

Danièle Heymann

Idées

La célébration du bicentenaire de la Révolution a suscité un grand nombre de méditations sur l'État et sur la démocratie. Régis Debray a recensé ce qu'il fallait réformer pour Que vive la République (Odile Jacob) et Laurent Cohen-Tangui a constaté la Métamorphose de la démocratie (id.). D'autres penseurs ont dénoncé les contradictions internes de notre système politique. Selon Guy Hermet (le Peuple contre la démocratie, Fayard), l'application du système majoritaire nie tous les droits de la minorité. Jean-Marie Pontaut et Francis Szpiner doutent même des vertus de la République : l'État hors la loi (Fayard) évoque les compromissions qu'accepte le pouvoir. Sophie Coignard et Jean-François Lacan dressent un sombre tableau de la République bananière (Belfond).

Le discours politique lui-même est décrypté par les intellectuels. Ni vrai ni faux, mais creux, il révèle « le déclin des grands signifiants », soutiennent Philippe Boggio et Alain Rollat dans l'Année des masques (Olivier Orban). Jean-François Kahn fait avec fracas le procès des systèmes de pensée bipolaires (Esquisse d'une philosophie du mensonge, Flammarion), et dresse un tableau classique de fin de siècle décadente. À tel point que Roland Jaccard cède à la Tentation nihiliste (PUF).

De nouvelles utopies sont nécessaires. Jean-Marie Domenach en appelle donc aux intellectuels (Des idées pour la politique, Seuil). André Comte-Sponville, dans Une éducation philosophique, garde également le courage du réel. Le xxie siècle s'approche avec ses problèmes bioéthiques sans précédent et ses nouveaux maîtres, la technocratie et la communication. François Coupry propose une solution hédoniste pour vivifier les cerveaux : il faut manger, car l'étroitesse de nos idées viendrait de notre goût pour la minceur (Éloge du gros dans un monde sans consistance, Laffont).

Françoise Devillers

Littérature mondiale

Y a-t-il une Europe culturelle ? Y a-t-il, en littérature, une vision du monde, une modalité de la fiction propre à l'Europe ? Le 9e Salon du livre, qui en a débattu, a aussi reçu en délégation nombre d'écrivains et d'éditeurs européens, et, par là, a favorisé les échanges.

Certains auteurs étrangers ont maintenant un public français fidèle, ce qui est sans doute le signe d'une internationalisation croissante de ses goûts. Ainsi, le roman anglais suscite toujours autant d'enthousiasme par l'humour brutal et irrévérencieux des romancières, celui de Barbara Pym (Comme une gazelle apprivoisée, Fayard) ou celui de la jeune Jeanette Winterson (la Passion de Napoléon, Laffont). Quant aux Versets sataniques de Salman Rushdie, publiés en France par Christian Bourgois, ils ont suscité une curiosité de scandale liée aux menaces pesant sur l'auteur.