On peut se demander pourquoi créanciers et débiteurs en sont ainsi réduits à ces négociations en continu, ces rééchelonnements de rééchelonnements, coûteux à la fois en termes de frais de gestion et de temps de négociation et qui, en outre, semblent ne pas traiter le problème en profondeur, puisqu'ils ne font que repousser à plus tard les charges du remboursement. Pourtant, cette solution au coup par coup s'est imposée comme étant la plus opérationnelle, et peut-être la plus acceptable par l'ensemble des parties concernées.
Ce n'est pas pour autant qu'il convient de s'en satisfaire. Le principe même de gérer les problèmes au fur et à mesure qu'ils font surface sert aussi d'alibi à l'indifférence manifestée à l'égard de pays fortement endettés à leur propre échelle, mais dont les déséquilibres ne menacent pas le système international. Il s'agit notamment des pays pauvres d'Afrique, dont le drame dépasse la seule crise de la dette pour englober crise de développement, crise alimentaire et crise politique à la fois (Sur la situation économique de l'Afrique subsaharienne, voir le Rapport Ramses 86/87, publié par l'IFRI (Atlas-Economica, 1986, pp. 268-282).). Ces pays sont dans une situation tragique qui semble appeler un traitement spécifique, relevant essentiellement des aides officielles de la part des gouvernements et des institutions multilatérales. Pour la communauté bancaire internationale, relativement peu impliquée en Afrique (si ce n'est au Maroc, en Côte-d'Ivoire et au Nigeria), la crise de l'endettement est essentiellement celle des pays latino-américains, et celle des Philippines en Asie, les autres pays d'Asie ayant pu traverser la crise sans rééchelonnement de leur dette.
L'engagement des banques
En fait, en perspective, la crise de 1982 (Pour une étude plus approfondie de la crise de la dette et des problèmes qu'elle pose, voir le Rapport Ramses 85/86 (Atlas-Economica, 1985, pp. 113-143).) apparaît seulement comme l'un des rebondissements dont l'histoire financière internationale semble coutumière. On compare d'ailleurs souvent la crise actuelle à celle qui, dans les années 30, avait vu la plupart des pays latino-américains et de nombreux pays européens en cessation de paiement sur leurs engagements extérieurs. La différence fondamentale avec la situation des années 30 tient au rôle du secteur bancaire dans l'endettement international des années 80. Dans le premier cas, la plus grande partie de la dette était constituée de titres, dont les porteurs assuraient individuellement la totalité des risques. En cas de défaut, les pertes étaient élevées, mais pouvaient, par l'appauvrissement des investisseurs privés, être absorbées sans que la structure économique en fût menacée. Or, depuis le début des années 60, les banques ont considérablement accru le montant et le champ de leurs opérations internationales ; comme elles jouent un rôle pivot dans le fonctionnement et le financement de l'économie, toute défaillance bancaire risque de se propager aux autres banques et à l'ensemble de l'économie.
Comment en est-on arrivé là ? C'est sous la double pression de l'offre et de la demande que l'endettement international et particulièrement la dette bancaire se sont accrus aussi considérablement dans les années 70. L'environnement macroéconomique international y a été très propice : forte croissance, taux d'intérêt nominaux faibles, forte inflation des prix du commerce mondial, c'est-à-dire des taux d'intérêt réels parfois fortement négatifs incitant les pays en développement à accroître leur endettement. Par ailleurs, le premier choc pétrolier augmenta sensiblement les besoins de financement externes des pays en développement, alors même qu'il conduisait à une augmentation de l'épargne mondiale, détenue par les pays exportateurs de pétrole (l'excédent pétrolier), qui fut placée par ces pays auprès des banques commerciales des pays occidentaux. Celles-ci durent trouver des débouchés pour cet afflux de liquidités ; c'est le problème du recyclage. Ces banques se précipitèrent dans l'activité de prêts aux pays en développement (principalement en Amérique latine et en Asie), qui leur paraissait présenter un très bon rapport risque/rendement. Les banques consentirent donc à ces pays des prêts de montants très élevés, organisés, pour une meilleure répartition des risques, sous forme de prêts syndiqués associant un grand nombre d'institutions, parfois plusieurs centaines.