Si l'on peut critiquer le laxisme avec lequel les banques ont gonflé leurs créances sur les pays en développement, il convient également de remarquer que ces derniers ont géré leur endettement extérieur avec une insouciance tout aussi imprudente. Les pays d'Amérique latine notamment ont souvent pratiqué des politiques de fuite en avant, renforcées dans de nombreux cas par le maintien de taux de change surévalués, incitant soit à l'évasion des capitaux par crainte de dévaluation, comme en Argentine ou au Mexique, soit au report de la demande interne sur des biens d'importation durables, comme par exemple au Chili. Dès lors, le rapport de la dette extérieure totale aux exportations de biens et services s'est considérablement gonflé dans les pays latino-américains, alors qu'il restait à peu près stable dans les pays asiatiques (à l'exception des Philippines), qui avaient adopté des stratégies de croissance fondées sur le développement des exportations.
Cette conjonction d'offres de prêts abondantes de la part des banques et de politiques économiques inadaptées conduisit à une situation de déséquilibre, caractérisée par la concentration excessive des créances bancaires sur un petit nombre de pays, principalement latino-américains, dont les ratios d'endettement avaient atteint des niveaux extrêmes. Cette concentration apparaissait nettement dans le cas des banques américaines, mais posait également problème aux banques européennes, et, entre autres, françaises.
Dans ce contexte de fragilisation, l'environnement économique fut une cause indéniable de l'émergence d'une situation de crise. Après le deuxième choc pétrolier, la lutte contre l'inflation devint prioritaire dans les principaux pays industrialisés, qui mirent en place des politiques monétaires restrictives. Les pays en développement non pétroliers virent leurs déficits se creuser. Le début des années 80 fut marqué par une nette décélération de l'activité économique, par des taux d'intérêt nominaux très élevés, par une détérioration des termes de l'échange des pays en développement et des taux d'intérêt réels atteignant de hauts niveaux, donc, par un resserrement de la contrainte financière extérieure des pays en développement (voir graphique).
Lorsque les banques ont commencé à percevoir la détérioration de la situation financière des pays en développement, elles ont nettement marqué leur réticence à poursuivre l'accumulation des créances. En août 1982, le Mexique, qui ne disposait plus des réserves en devises et des financements externes adéquats pour assurer le service de la dette, dut se déclarer en cessation de paiement ; une véritable réaction en chaîne fut ainsi amorcée, caractérisée par une vague de suspensions de paiement et par un assèchement presque total des crédits bancaires, accentuant encore la gravité de la crise.
En matière de gestion de crise, à ceux qui se montraient confiants dans l'aptitude des gouvernements (pour la dette officielle) et des banques (pour la dette bancaire) à faire face aux problèmes au fur et à mesure qu'ils se présentaient, selon la formule de la gestion au coup par coup, s'opposaient ceux qui, sensibles au risque global économique et financier, préconisaient une approche radicale visant à alléger le fardeau de la dette et à réduire ainsi les tensions pesant sur le système financier international. De nombreuses propositions très imaginatives virent le jour, qui avaient le mérite de traiter le problème en profondeur et dans une optique de long terme, mais qui, à les bien examiner, paraissaient à la fois très difficiles à mettre en œuvre, et assez inadaptées à la situation.
Outre le fait que ces solutions globales ne tenaient pas compte de la spécificité des problèmes propres à chaque pays, elles heurtaient de front le sacro-saint principe d'orthodoxie financière qui s'exprime ainsi : les banques doivent être rémunérées pour le risque qu'elles prennent. Une entorse ouverte à ce principe pouvait avoir deux inconvénients, le premier de tarir complètement les flux bancaires futurs à destination des pays en développement, le second d'être mal admis par ceux des emprunteurs ayant réussi à assainir leur situation financière au prix d'efforts draconiens. Enfin, le grand nombre des banques impliquées, la diversité de leurs intérêts et la variété de leurs relations avec leurs gouvernements rendaient peu praticables les approches globales préconisées. Compte tenu de ces rigidités, la communauté internationale fut réduite à la « navigation à vue », à savoir l'approche négociée au cas par cas.