Les entreprises furent les premières, pour une fois, à en profiter, en captant les deux tiers environ de ce gain inopiné contre 28 p. 100 directement répercutés sur les particuliers par la baisse des prix de l'essence et du fuel et 4 p. 100 par le relèvement de la taxe pétrolière perçue par l'État. Elles ont bénéficié d'une forte diminution de leurs coûts de production, qui a prolongé et renforcé la tendance à la modération observée dès 1985.
La désinflation n'a certes pas également favorisé toutes les entreprises. Il est normal que, dans un premier temps tout au moins, les industries les plus fortement consommatrices de matières premières aient été les plus immédiatement avantagées par la chute des cours (chimie, métallurgie, etc.). Dans un deuxième temps, la concurrence et la reconstitution de leurs réserves financières permettront aux entreprises de transmettre en aval au consommateur final une plus grande partie des bénéfices retirés par la nation.
Par ailleurs, les entreprises les plus lourdement endettées éprouvent, dans cette période de désinflation, des difficultés de transition, car la relative rigidité des taux d'intérêt nominaux provoque deux séries de conséquences chez certaines d'entre elles. D'abord, les taux d'intérêt nominaux excèdent depuis cinq ans le taux d'inflation d'un montant de l'ordre de 5 à 6 points (voir graphique), la désinflation enrichit les créanciers au détriment des débiteurs, alors que l'inflation produisait les résultats opposés. Ensuite, le taux d'intérêt réel apparent (taux nominal diminué du taux d'inflation constaté) dépasse le taux de rentabilité d'un certain nombre d'entreprises ; de ce fait, l'effet de levier tend à s'inverser et à jouer comme une sorte de piège pour les entreprises qui n'ont pu renégocier ni leurs dettes ni leurs taux, bénéficier d'une clause de taux d'intérêt variable. Plus généralement, la conjonction de la désinflation avec le maintien de taux d'intérêt réels apparents à leur niveau actuel incite les entreprises à consacrer leurs bénéfices en priorité au remboursement de leurs dettes, de préférence à l'investissement.
L'anémie pernicieuse dont souffre l'appareil productif français, et dont témoigne la fragilité des résultats obtenus par nos industries, tire ainsi son origine de la très grande faiblesse de l'augmentation de notre capital fixe, c'est-à-dire de l'outil de production. Les consommateurs retirent un certain avantage de la désinflation qui, toutes choses égales quant à leur revenu nominal disponible après impôts, améliore leur pouvoir d'achat (voir tableau II).
Mais la France, comme les États-Unis, a été entraînée en 1985 et en 1986 dans la voie de la facilité, puisque la consommation y a crû plus vite que la production intérieure. La désinflation ne suffit donc pas à améliorer rapidement la compétitivité des productions nationales ni l'emploi, même si elle en est l'une des conditions nécessaires.
L'avenir
En cette fin d'année 1986, la désinflation est-elle amenée à se poursuivre ? Les prix, qui ont progressé de l'ordre de 2,2 p. 100 en 1986, monteront-ils seulement de 2 p. 100 en 1987 comme l'annonce le gouvernement français ? Bien que le ralentissement de la hausse des prix ne soit pas un fait acquis et exige des entreprises comme des pouvoirs publics une gestion rigoureuse, cet objectif demeure accessible. Plusieurs raisons fondent ce pronostic :
1 – Les prix du pétrole, qui ont évolué dans la zone de 10 à 15 dollars le baril depuis février 1986, ne diminueront guère, mais, sauf circonstances et troubles exceptionnels, ils risquent peu de s'élever au-dessus ou de tendre vers 18 à 20 dollars (éd. 1986). L'état de la demande mondiale de pétrole, compte tenu des économies d'énergie et des perspectives de croissance mondiale, ne justifie pas un tel relèvement dans les prochains mois. La possibilité pour le principal producteur de l'OPEP, l'Arabie Saoudite, de redresser les prix passe par sa propre capacité à réduire l'offre mondiale. Or cette capacité a sensiblement décliné depuis l'époque (1973) où le pétrole fournissait 48 p. 100 de l'énergie du monde et où l'Arabie Saoudite livrait 13 p. 100 de ce pétrole. Nous sommes parvenus en 1986 à une situation différente : le pétrole n'entre plus que pour 37 p. 100 de la demande totale d'énergie, et le leader de l'OPEP n'en a livré que 6 p. 100 ; par conséquent son poids spécifique sur le marché de l'énergie a décliné de 6 p. 100 (0,48 × 0,13) à 2 p. 100 (0,37 × 0,06).