Point de l'actualité
L'année de la sculpture
Pour répondre à cet objectif décrété par le ministère de la Culture, 1986 s'est particulièrement signalée (outre la célébration, des deux côtés de l'Atlantique, du centenaire de la Liberté de Bartholdi) par la tenue, à Paris, de deux expositions didactiques pourvues d'énormes catalogues et bien approvisionnées : la Sculpture française au xixe siècle, au Grand Palais, et Qu'est-ce que la sculpture moderne ? au Centre Pompidou.
De l'énorme production du xixe siècle, présente dans toutes nos villes (monuments aux grands hommes, allégories bourgeonnant aux façades des édifices publics, Vierges colossales garantes du retour à l'ordre moral...), l'exposition du Grand Palais, organisée par Anne Pingeot, du musée d'Orsay, a sélectionné comme première approche (car une étude d'ensemble reste à faire) 250 pièces, marbres et bronzes, modèles en plâtre ou statuettes d'édition, souvent tirées des réserves des musées. Devant cette production trop souvent soumise au carcan de l'Académie des beaux-arts, l'impression d'ensemble est celle d'un méritoire labeur des artistes, même si les chefs-d'œuvre sont rares (mais n'en est-il pas ainsi à toutes les époques ?). Certes, beaucoup de savoir-faire se déploie en vain dans nombre de nudités à l'antique, de petits groupes romantiques démarqués des exemples picturaux, d'œuvres éclectiques, naturalistes ou symbolistes hybrides. Mais, à côté des figures majeures de David d'Angers, Pradier (exposé parallèlement au musée du Luxembourg), Rude, Barye, Carpeaux, quelques belles découvertes surgissent du côté, par exemple, de Chaudet ou de Simart pour la fidélité classique, de Préault ou de Camille Claudel pour l'expression fiévreuse. Rodin est là, bien sûr, réintroduisant la puissance métaphorique dans la sculpture, ainsi que Bourdelle et Maillol, artistes du xxe siècle exclus de l'exposition du Centre Pompidou, le primitivisme de Gauguin et l'expressionnisme de Matisse, qui en constituaient au contraire le point de départ.
À Beaubourg, nous était proposé en effet, par l'historienne d'art américaine Margit Rowell, non un panorama du xxe siècle, mais une quintessence relativement partiale de cette modernité dont les ruptures successives, souvent, semblent bien avoir été le fait des peintres, plus à l'aise que les sculpteurs pour s'abstraire de l'imitation du réel en raison de l'espace plan – de toute manière conventionnel – de leur toile. Selon un distinguo qui en vaut un autre, les 260 œuvres choisies étaient réparties en deux grands courants parallèles : celui dit de la « culture » (croyance au progrès, adhésion à la civilisation technique du monde moderne), celui de la « nature » (situé hors du temps, côté cosmos, formes organiques, primitivisme).
– Courant moderniste : le cubisme (assemblages de Picasso, etc.), le futurisme, dada (Arp, ce poète des formes célébré en même temps par une rétrospective à Strasbourg, puis à Paris), le constructivisme russe, Calder, le fer soudé chez Picasso et Gonzalez, puis chez David Smith, le Nouveau réalisme et le pop art. le minimalisme américain.
– Courant intemporel : Brâncusi, Giacometti, Moore, Picasso de nouveau (le modeleur), Miró, Beuys, l'Américain Richard Serra et les « installations » de l'art pauvre italien (Zorio notamment, dont l'œuvre a fait l'objet d'une exposition séparée au Centre Pompidou).
L'année a vu, par ailleurs, les résultats d'une commande publique beaucoup plus active que par le passé. Citons deux monumentales pièces en acier de Bernar Venet (Ligne indéterminée d'Épinal, Arc ouvert de l'autoroute A 6) et de nombreuses œuvres installées à Paris : par exemple, figuratives, l'Hommage à Picasso de César et le Rimbaud d'Ipoustéguy, ou, abstraites, le Clara-Clara de Serra (à juger par les usagers de square de Choisy...), sans oublier les « Colonnes » de Daniel Buren au Palais Royal, associées à une circulation d'eau souterraine et à un dispositif lumineux pour le soir, environnement dont, les passions initiales retombées, on commence à apprécier le pouvoir d'évocation quasi mythique dans le temps et l'espace. La création la plus vivante s'illustre encore par des « parcs de sculpture » pour lesquels Français, Allemands, Italiens, Anglais, etc., ont été conviés à produire des pièces adaptées au site (Vassivière en Limousin, Kerguehennec en Bretagne), par des manifestations comme la biennale de Belfort, par les Salons parisiens de la Jeune Sculpture, accueillis deux fois par an dans des entrepôts abandonnés du port d'Austerlitz. Là, avec des artistes (Daniel Pontoreau, Hélène Agofroy, Marc Couturier... et des dizaines d'autres) pratiquant l'assemblage inventif de matériaux bruts ou d'objets récupérés, ou installant au sol d'étranges paysages emblématiques, on est vraiment aux antipodes de la « statuaire » des siècles passés. Mais qu'est-ce donc que la sculpture ?
Gilbert Gatellier