Un laboratoire d'archéologie urbaine
1986 : au Louvre, une fouille archéologique sans précédent s'achève. Pendant plus de deux ans, une centaine de chercheurs se sont attachés à faire revivre un ancien quartier parisien, des premiers camps néolithiques aux hôtels particuliers du xviie siècle. L'archéologie moderne trouve là sa plus spectaculaire expression.
Le 1er mars 1986, la cour Napoléon était livrée aux aménageurs du nouveau musée après avoir été, pendant deux ans, le théâtre du chantier archéologique le plus spectaculaire que la France, voire l'Europe, ait jamais connu.
Sous l'influence des préhistoriens, qui ne peuvent s'appuyer sur des archives écrites pour alimenter leur recherche, le sol est devenu, pour les archéologues des autres périodes, un document historique digne du plus grand intérêt.
Mais la recherche archéologique en milieu urbain est une discipline pratiquée en France depuis peu. Britanniques et Allemands ont, les premiers, mis à profit les bouleversements suscités par les destructions de la guerre et les reconstructions des années 50 pour se pencher de plus près sur ces pages d'histoire que renferme le sous-sol des villes. Les archéologues français se sont lancés à leur tour dans la bataille au début de la décennie 70.
« Bataille » est le mot qui convient. Car la présence, au cœur de la ville, de l'archéologue – considéré comme la personne qui conserve et stérilise – aux côtés des aménageurs – qui détruisent mais qui créent – a entraîné des années d'affrontements pendant lesquelles le patrimoine archéologique n'a fait que s'amenuiser. La mise en place de postes archéologiques municipaux dans la plupart des grandes villes, l'intérêt très vif que porte le public à l'histoire locale ont fait évoluer les esprits. Peu à peu, l'archéologue prend place dans la ville et l'objet de ses études devient plus que jamais celui des transformations du phénomène urbain sous tous ses aspects et sans limite dans le temps. Il rejoint les grandes lignes de la « Nouvelle Histoire », développées par Marc Bloch, Lucien Febvre et Fernand Braudel, qui ont introduit l'étude du quotidien et de la durée. C'est de cette école-là que se réclament Yves de Kisch et Pierre-Jean Trombetta, responsables du chantier de fouilles de la cour Napoléon.
Le Grand Louvre
Au printemps 1986, alors que les archéologues de la cour Napoléon pliaient bagages et laissaient la place aux pelleteuses, la cour Carrée retrouvait sa grandeur habituelle. Embellie par la restauration des façades, elle a reçu un nouveau pavage qui recouvre désormais une crypte archéologique prochainement accessible au public, aménagée dans les fossés du vieux donjon du Louvre. Une entrée unique, surmontée par la pyramide de Ieoh Ming Pei, est prévue au centre de la cour Napoléon et desservira de nombreux couloirs souterrains qui orienteront les visiteurs vers les départements de leur choix. La réalisation de ce projet ambitieux, nécessite de gigantesques travaux de terrassement dans la cour Napoléon. C'est à ce moment qu'intervient l'archéologie.
Car le palais actuel, qui ne communique avec la ville que par d'étroites arcades, ne ressemble guère à ce qu'il était voilà à peine un siècle et demi : un château royal au milieu d'un quartier parisien grouillant d'animation, formé par des rues étroites bordées de maisons d'artisans, des hôtels aristocratiques, des écuries, des jardins... Cet ensemble d'habitations fut rasé par le baron Haussman, tandis que Napoléon III faisait édifier par Visconti et Lefuel les bâtiments qui bordent la cour Napoléon au nord et au sud.
Plus de cinq siècles d'histoire enfouis sous les pavés étaient donc inévitablement voués à la destruction. Rares sont les occasions données aux archéologues de fouiller au cœur d'une capitale, et l'on comprend que les organisateurs d'un projet muséologique aussi prestigieux que celui du Grand Louvre aient inclus un volet archéologique au programme des travaux.
Histoire d'un quartier
Dans ses grandes lignes, l'histoire du quartier du Louvre était assez bien connue. Tout commence lorsque Philippe Auguste, afin de protéger sa capitale vers l'ouest, fait bâtir, à l'extérieur de l'enceinte dont il vient d'entourer Paris, une forteresse munie de dix tours et percée de deux portes avec un donjon de 15 mètres de diamètre et d'une trentaine de mètres de hauteur, entouré de fossés, qui est rapidement devenu l'un des symboles de l'État capétien naissant.