Si consensus sur libéralisme il y a, l'étendue de ce mouvement varie donc, selon que l'on privilégie l'une ou l'autre forme. Le libéralisme peut alors osciller entre deux extrêmes, allant d'une application insuffisante, voire nulle, à une application excessive, voire remise en cause. En même temps, il peut conduire à des situations paradoxales et contradictoires, si l'on passe d'une position à une autre, c'est-à-dire que les choix prônés sont contredits dans les faits.

Ce mouvement d'oscillation du libéralisme peut être illustré à partir de quatre exemples, tirés des événements marquants de l'année 1985, étudiés séparément, pour en comprendre mieux les mécanismes.

1° Revirement de la position américaine sur le marché de change

L'élection du président Ronald Reagan en novembre 1980 a conduit les États-Unis à privilégier la lutte contre l'inflation. Si la réussite à ce niveau a été manifeste, elle a été obtenue grâce à une surévaluation du dollar et à des taux d'intérêts records. Cette situation a contraint les autres pays développés à adopter des politiques de rigueur, en même temps qu'elle a aggravé la position déjà précaire des pays du tiers monde, endettés, forcés à leur tour de suivre les politiques d'ajustement (libéralisme imposé) dictées par le Fonds monétaire international.

La reprise américaine qui a suivi, a été obtenue, au contraire, par un relâchement relatif de la politique monétaire et par l'application inavouée de recettes typiquement keynésiennes (libéralisme corrigé) : le déficit budgétaire des États-Unis n'a cessé alors de se creuser et le gouvernement fédéral de s'endetter. La reprise, dans ces conditions, apparaît plus comme la conséquence de facteurs temporaires que d'un assainissement durable et profond de l'économie américaine, d'où son nouvel essoufflement en 1985.

Cette apparence est confirmée au regard du déséquilibre cumulatif de la balance des opérations courantes des États-Unis, lié à la surévaluation du dollar (niveau record atteint à la fin février 1985) qui reflète la perte de compétitivité des entreprises américaines.

Deux solutions se présentaient face à cette évolution : soit adopter des mesures protectionnistes, soit jouer le dollar à la baisse. Ronald Reagan, jusqu'alors partisan acharné des taux de change flottants et du laisser-faire (libéralisme oblige), a révisé ses positions antérieures et s'est rallié à la deuxième solution, d'où l'importance de l'accord du 22 septembre 1985 signé à New York entre les États-Unis et les quatre plus grands pays industrialisés, visant à l'intervention concertée des Banques centrales pour faire baisser le dollar.

Jean Denizet retrace en détail cette période de l'économie américaine (1980-1985) pour mieux faire comprendre le revirement de la position américaine sur le marché des changes en 1985 – année qu'il considère comme décisive –, en même temps qu'il en analyse les conséquences, insistant sur la nécessité de respecter un juste équilibre, à trouver à la fois pour casser les anticipations à la hausse et éviter les excès d'une anticipation à la baisse.

2° Changement de stratégie de l'OPEP après 25 années d'existence

Depuis le retournement du marché pétrolier en 1982, l'OPEP a défendu le prix du pétrole au sacrifice de sa production (fixation de plafonds et de quotas). Les pays membres de l'OPEP étaient devenus producteurs d'appoint, au profit des autres producteurs de pétrole.

Ces mesures ont évité un effondrement excessif des prix, mais n'ont pu empêcher des baisses officielles, l'une en mars 1983, l'autre en février 1985. Les prix de l'OPEP sont en réalité devenus de plus en plus déconnectés du marché, surtout depuis la décision de la Grande-Bretagne et de la Norvège d'abandonner les prix officiels (retour au marché). C'est pourquoi, compte tenu également de la dégradation de la situation financière des pays membres, et plus particulièrement de certains d'entre eux, l'Organisation a décidé en décembre 1985 de renoncer à son rôle de gardien des prix mondiaux, afin de privilégier la défense de ses parts de marché. L'OPEP, par cette décision, veut inciter les autres producteurs à prendre conscience de la nécessité de coopérer pour stabiliser les prix mondiaux du brut, sous la menace, sinon, d'une éventuelle guerre des prix.