La nouvelle phobie de l'État ne concerne pas que l'école. Et elle ne se limite nullement à la France. Dans la plupart des pays occidentaux, le slogan du jour c'est « moins d'État ». On reproche à ce monstre de s'occuper de trop de choses, de persécuter les citoyens, d'être inefficace... Quitte à compter encore beaucoup sur lui pour les subventions et les allocations.
Le rassemblement massif du 24 juin exprimait haut et fort cette tendance et obligeait la gauche française à s'interroger. N'avait-elle pas coupé la société en deux mondes trop distincts : le public, paré de toutes les vertus, et le privé, assimilé à l'argent, au profit, et limité aux valeurs de l'intimité ? N'avait-elle pas négligé la créativité et l'initiative, favorisant, par contrecoup, une mode libérale, un « reaganisme à la française » ?
En criant « L'école libre vivra », les manifestants du 24 juin posaient des questions bien plus vastes que celle de l'école : le citoyen et l'État, les libertés et le libéralisme, la justice et les différences... Des questions capitales, mais continuellement déformées par l'exploitation politique qui en est faite. Michel Rocard n'était pas le seul à constater, à l'automne 1984, « une monstrueuse pagaille sémantique et idéologique ».
Robert Sole
France
Sur de nouveaux rails
Au cours d'une année dominée par le débat public-privé, l'actualité scolaire et universitaire semblait consacrée à la poursuite de la rénovation du système éducatif entreprise par Alain Savary : expérimentation et mise en place progressive des réformes dans les différents ordres d'enseignement, selon les orientations des rapports Legrand (collèges), Prost (lycées) et du bilan de la consultation-réflexion dans le premier degré. Du côté de l'enseignement supérieur, on demandait aux universités de proposer, dans le cadre de la nouvelle loi d'orientation, des projets de premiers cycles rénovés pouvant déboucher sur la professionnalisation de certaines filières, tandis que se poursuivaient parallèlement de difficiles négociations sur les carrières des enseignants. Autres thèmes prioritaires : l'histoire, l'informatique, la formation des maîtres, la décentralisation et la participation.
Rapport Prost — une plus juste place pour les mathématiques
Les lycées ont fait l'objet d'un volumineux rapport intitulé Les lycées et leurs études au seuil du XXIe siècle, produit du groupe de travail sur les seconds cycles, présidé par Antoine Prost. Il constate une augmentation du niveau des lycéens dans des disciplines scientifiques, où les programmes ont été considérablement alourdis, mais un déclin en expression française et dans les matières littéraires, le cloisonnement des disciplines (les élèves accumulent les connaissances sans faire le lien entre celles-ci) et un accroissement de la sélection.
À la suite de ce rapport, Alain Savary avait fixé un objectif — porter à 80 % en dix ans le nombre des élèves terminant un second cycle court ou long — et retenu les orientations suivantes : diminution du « rôle exorbitant des mathématiques », amélioration du niveau en expression écrite et en expression orale, association des jeunes à leur orientation, simplification de l'organisation des examens, réforme du CAPES et de l'agrégation en y introduisant une partie pratique et des tests d'aptitude à l'enseignement, ouverture d'un grand nombre de classes scientifiques, modernisation de l'enseignement technique long, développement de l'utilisation de l'informatique (tous les lycées devraient être équipés en 1987).
Le coup de théâtre
Rien de bien marquant donc, jusqu'à la démission, le 17 juillet, d'Alain Savary, provoquée par l'affaire du public-privé. L'arrivée de Jean-Pierre Chevènement au ministère de l'Éducation nationale donne le coup d'envoi d'une réorientation de la politique éducative. Tout en déclarant vouloir poursuivre l'œuvre de son prédécesseur, le nouveau ministre retient des orientations différentes : « clarté, qualité, efficacité » en sont les mots clés. Priorité est donnée à la transmission des connaissances, et la rénovation du système éducatif commencera par l'école élémentaire. Interrogé sur ce nouveau cap, qui met davantage l'accent sur l'école élémentaire, le sens de l'effort et les contenus d'enseignement que sur les collèges et l'innovation pédagogique, ainsi que sur sa position dans le débat éducatif (formation de l'individu) et enseignement (transmission des connaissances), Jean-Pierre Chevènement a répondu que la pédagogie était essentiellement « un moyen au service de la transmission du savoir » et exprimé sa volonté de dépasser « les vieux débats » pour réaliser le consensus sur « des valeurs simples et fortes ». Autre objectif d'un ministre qui occupa de mai 1981 à mars 1983 le poste de la Recherche et de la Technologie : la modernisation et la maîtrise des mutations technologiques. L'action portera donc également sur l'enseignement technique.
D'une rentrée à l'autre
« Techniquement réussie », la rentrée 1983-84 s'est déroulée sans incidents, grâce à une importante mobilisation de tous les services du ministère de l'Éducation nationale et à diverses mesures : procédures d'affectation plus rapides, diminution du nombre des mutations, sanctions à l'égard des enseignants absents de leur poste à la prérentrée. Pourtant, avec le recul, on constate que tout n'était pas parfait. La globalisation (ou répartition des moyens en fonction de l'effectif global) s'est traduite par des diminutions du volume horaire dans certaines disciplines. Ce fut le cas, dans nombre d'établissements, pour les enseignements technologiques et artistiques, les sciences physiques, certaines langues vivantes et les langues anciennes.