Jadis réservé aux jeunes femmes cherchant à se constituer une dot, aux veuves et aux femmes abandonnées, le salariat féminin, porté par le développement du secteur tertiaire — et par toute une idéologie moderniste —, s'est considérablement développé depuis les années 60. Considéré d'abord comme procurant aux ménages un revenu d'appoint et provisoire, il est, peu à peu, devenu un élément constitutif et permanent du statut social, au point que les couples à deux salaires sont aujourd'hui majoritaires dans la population active. Du coup, la femme au foyer, qui ne travaille pas, devient minoritaire et vaguement suspecte d'être entretenue aux frais de la société : n'est-elle pas dispensée de cotisations sociales, ne bénéficie-t-elle pas de faveurs fiscales ?

La crise de l'État-Providence

Le vrai problème est, en fait, de financer les fonctions domestiques assurées naguère au sein des familles (la reconstitution de la force de travail des marxistes) et dont on a cru, pendant la montée en puissance des systèmes de sécurité sociale, qu'elles pourraient être complètement prises en charge par la collectivité. Il y a en fait des limites à ce processus et tous les pays développés, où l'on bénéficie d'une longue vie moyenne, sont confrontés à des difficultés analogues. Les gouvernements conservateurs diminuent les prestations sociales, les gouvernements socio-démocrates augmentent le financement public, mais la vraie question est : quel rôle laisser — ou redonner — à la famille, c'est-à-dire au non-monétaire, dans le monde moderne ? N'est-il pas plus efficace et moins coûteux pour la collectivité de laisser enfants et personnes âgées à la maison même si c'est au prix d'allocations diverses ou d'encouragements fiscaux, plutôt que de multiplier crèches et maisons de retraite ?

Les solutions seront trouvées par tâtonnements. Ainsi, aux États-Unis, les idées féministes commencent à piétiner devant la révolution conservatrice américaine. De ce côté de l'Atlantique, les jeunes gens admettent qu'en période de crise économique habiter chez ses parents et se faire aider financièrement n'a rien de déshonorant. La presse féminine, après avoir glorifié la libération et l'autonomie de ses lectrices, redécouvre que le couple est la meilleure protection contre la solitude sécrétée par notre civilisation et qu'il n'y a rien de mieux pour les enfants et adolescents que d'avoir des parents qui s'occupent d'eux.

Pour la nouvelle génération, il est normal que les filles aient autant (et même plus) de diplômes que les garçons, qu'elles fassent carrière et qu'elles aient accès à la pilule. Les troubles de conscience et les exaltations de leurs aînées ne les concernent plus ; la page est tournée, même si d'importantes adaptations législatives, sociales, fiscales restent encore à trouver. Les démographes font remarquer que deux, quelquefois trois, enfants sont absolument nécessaires pour renouveler les générations. La fécondité ne doit à aucun prix tendre vers zéro, comme on pouvait le croire ou le craindre quand elle se réduisait de huit ou dix enfants par femme à deux. Les démographes font remarquer aussi que la probabilité d'avoir un parent âgé à charge augmente avec le vieillissement de la population, et que cela arrive aujourd'hui à nombre de retraités.

La famille, première et élémentaire forme de socialisation, a donc de beaux jours devant elle. Elle va être à nouveau sollicitée par les pouvoirs nationaux, régionaux, locaux, municipaux accablés de charges collectives. Mais il faudra faire preuve de beaucoup de modestie et d'imagination pour qu'elle trouve enfin son vrai visage moderne dans la vie de la cité.

Michel-Louis Levy

Démographie
Débats

Par deux fois en 1983, des informations démographiques sont apparues à la première page des quotidiens : en avril, quand il s'est avéré que la natalité avait sensiblement reculé au premier trimestre ; en septembre, dans l'agitation liée à l'élection municipale de Dreux, quand le chiffre d'étrangers vivant en France fut l'objet d'une surprenante polémique.