Plus percutante, au point, dans quelques scènes particulièrement cruelles, de provoquer presque la nausée, Liliana Cavani, spécialiste du cinéma qui dérange depuis Portier de nuit, a, en revanche, parfaitement rendu l'atmosphère de fin du monde que décrivait Malaparte dans La peau. Avec une morbidité à la limite du racoleur, mais une efficacité certaine dans l'évocation de l'horreur dans l'Italie fasciste délivrée par les Américains.

Allemagne

Outre-Rhin, le cinéma se porte de mieux en mieux. Et l'année fut bonne pour les ténors : avec Fitzcarraldo, Werner Herzog a retrouvé l'inspiration baroque — et l'interprète — d'Aguirre. Pour filmer l'histoire folle d'un passionné d'opéra qui, afin de pouvoir construire un théâtre où inviter Caruso au fond de la jungle péruvienne, décide de déplacer, sinon les montagnes, du moins les bateaux par-dessus ces montagnes, Herzog a œuvré quatre ans, bravé les Indiens, provoqué de nombreux accidents... Aussi fou, peut-être, que son héros. Mais il a rapporté d'extraordinaires images, transformant en réalité les fantasmes les plus délirants.

Avec Le faussaire c'est, au contraire, la réalité la plus cruellement sordide, celle de la guerre civile au Liban, que Volker Schloendorff a voulu rendre plus tangible en la... recréant. Son Beyrouth est réel, mais les combats n'y sont que du cinéma. Pourtant, jamais on n'avait autant mesuré l'horreur et la dérision de ces combats fratricides au milieu desquels la vie, tragique et quotidienne, continue.

C'est, aussi, la réalité, celui du terrorisme de la bande à Baader, qu'évoque Margarethe von Trotta dans ses Années de plomb. Mais à travers le destin de deux sœurs qui sont comme deux visages d'une même Allemagne, celle qui doute et celle qui s'insurge. C'est une réalité un peu transposée que choisit Fassbinder dans Lola, une femme allemande, celle du conformisme et de la cupidité de l'Allemagne de la reconstruction. L'un des trois grands rôles (avec celui de La nuit de Varennes et celui de Passion de Godard) d'Hanna Schygulla, la nouvelle star d'outre-Rhin.

C'est, en revanche, le mythe, le plus germanique des mythes, qu'Hans Jurgen Syberberg exprime à sa façon dans son étonnant Parsifal, l'opéra de Wagner qu'il fait jouer par des comédiens doublés de vrais chanteurs, dans une mise en scène souvent déroutante pour les habitués de la tradition wagnérienne.

C'est, enfin, son réalisme hallucinant qui a valu à la première grosse production germanique, Le bateau, un succès international. Cette reconstitution minutieuse, et saisissante, de l'enfer de la vie dans un sous-marin traqué par les Alliés pendant le dernier conflit mondial égale les meilleurs films de guerre américains. Chauvinisme en moins.

Divers

Des autres pays, c'est la Grande-Bretagne qui, cette année, a le plus surpris. Avec un pur chef-d'œuvre, signé Karel Reisz et adapté, par Harold Pinter, du roman de John Fowles La maîtresse du lieutenant français. Il allie la subtilité d'un scénario entrecroisé, où la folie contenue d'une passion à l'époque victorienne trouve son contrepoint dans la sagesse amère d'une liaison contemporaine, à la beauté exceptionnelle des images, et à la perfection d'une interprétation, celle de la belle Meryl Streep.

Du reste de la production britannique, on retiendra le très classique mais fort plaisant Meurtre au soleil, de Guy Hamilton, où Peter Ustinov retrouve son personnage fétiche d'Hercule Poirot et où Jane Birkin s'enlaidit très spirituellement, le sympathique Bandits bandits, d'un échappé de la bande des Monty Python, Terry Gillian, et le bouleversant témoignage, en noir et blanc, de Ken Loach, Regards et sourires, sur la désespérance d'une jeunesse ouvrière acculée au chômage dans l'Angleterre industrielle de la récession.

L'Espagne nous a envoyé trois films de son metteur en scène le plus connu, Carlos Saura : une œuvre datant de 1968, Stress es tres, tres ; une autre, actuelle, où Saura renoue avec ses thèmes habituels, l'Espagne franquiste, l'oppression de la religion, les souvenirs d'enfance et, ici, le poids d'une passion presque incestueuse d'un enfant pour sa mère (Doux moments du passé) ; un admirable moyen métrage sur la répétition du ballet tiré des Noces de sang de Lorca par Antonio Gadès et sa compagnie.