Sauf aléas imprévisibles, la relève paraît cependant bien assurée, d'autant que les jeunes comédiens, aujourd'hui, aiment à se produire dans des one man show, où ils sont souvent auteurs et interprètes ; on n'est jamais si bien servi que par soi-même. On a vu ainsi Philippe Caubère, qui fut Molière dans le film d'Ariane Mnouchkine, se raconter avec une remarquable fantaisie à travers une sorte de récit autobiographique intitulé La danse du diable ; beaucoup de jeunes gens se sont reconnus en lui, séduits, surpris. D'autres, depuis quelques années déjà, aiment l'espèce de délire clownesque et dérisoire dont Jérôme Deschamps s'est fait une spécialité, ou la faconde pied-noir de Michel Boujenah, inventeur d'Albert, qui a tenté, avec un peu moins de bonheur cette fois, de lui donner en Anatole un petit frère digne de l'aîné. Mais, aussi cabotins qu'ils soient tous, ils ont trouvé leur maître en la personne de Francis Huster, transfuge de la Comédie-Française, qui pratique en virtuose le culte de la personnalité et le star-system, avec fan-club et autres gadgets. Son spectacle, malheureusement, n'était pas à la mesure de ses ambitions : n'est pas auteur qui veut. L'os de cœur n'allait guère au-delà d'une pitrerie démagogique pour café-théâtre sous-développé. Gageons qu'il reviendra aux classiques.

Plus sages, des comédiens excellents, comme Geneviève Fontanel, détaillant avec humour et charme le Journal d'une femme de chambre, d'après Mirbeau, ou le nonchalant Patrick Chesnais, fascinant créateur du Bleu de l'eau de vie, de Carlos Semprun Maura, ont préféré confier leur talent à des auteurs véritables : ils ont eu raison. À l'inverse, on a vu cette année un dramaturge, comme Daniel Besnehard, ou un metteur en scène, comme Gildas Bourdet, qui ont sauté le pas, se faisant écrivains. Du premier, L'étang gris avait une justesse très sensible, qui annonce peut-être une œuvre réellement originale, et, du second, Le saperleau nous a ravis par sa coruscante invention verbale, qui vaut toutes les satires. Voici des nouveaux venus qu'il faudra tenir à l'œil, si l'écriture a encore sa place au théâtre, ce qui n'est pas si sûr. Voyez l'un des spectacles les plus intéressants de la rentrée, Le palais de justice, mis en scène par Jean-Pierre Vincent, avec sa troupe du Théâtre national de Strasbourg : c'était une véritable photographie de ce qui se passe dans un tribunal de flagrant délit, reproduit tel quel sur une scène, sans rien y changer. Ce petit voyage du prétoire au théâtre suffisait à en faire une pièce, d'une redoutable efficacité. L'avenir est peut-être à ces documents accusateurs, présentés avec le soin qu'on réserve à Racine ou à Shakespeare. Le théâtre, concurrent du cinéma ou de la télévision : pourquoi pas ?

Grand prix de la Ville de Paris
(10 décembre 1981)

Gérard-Philipe : Richard Fontana.

Grands prix nationaux
(18 décembre 1981)

Théâtre : Andrée Tainsy.

Cirque : Alexis Gruss Jr.

Cinéma

Plusieurs films français dans le peloton de tête

Miracle... les professionnels se frottent les yeux et — très prudemment — les mains : la fréquentation, pour la première fois depuis 1968, est en hausse. Sensible. Le mouvement, qui a commencé au second semestre 1981, a continué à s'intensifier au début de l'année 1982. Pourquoi les spectateurs retrouvent-ils le chemin des salles obscures ? Il serait sans doute imprudent d'invoquer, ici, l'état de grâce politique et les bienfaits du changement. Ceux-ci se feront (peut-être) sentir plus tard, quand la réforme entreprise par Jack Lang, ministre de la Culture, aura porté ses fruits.

Cette réforme concerne surtout le remodelage des grands circuits de distribution et de programmation, dont elle veut briser le monopole, mais prévoit aussi un renforcement de l'aide à la création, de la formation et de l'exportation, ainsi qu'une augmentation des sommes consacrées à la coproduction par les chaînes de télévision. Mesures plus réformatrices que révolutionnaires, généralement bien accueillies, et dont on n'attend pas, à vrai dire, de grands bouleversements... En revanche, les réductions instaurées dans les salles le lundi, renforcées au printemps par de nouvelles réductions pour les familles nombreuses, ont certainement joué en faveur d'une fréquentation accrue. Les méchantes langues invoquent aussi... le changement à la télévision, dont les programmes décourageants ont parfois tendance à pousser les plus pantouflards vers les salles obscures.