Dans une autre dimension, l'Art Ensemble de Chicago (mars) continue d'explorer le prodigieux florilège des musiques populaires noires américaines, en en restituant davantage le sentiment, une impression plutôt qu'une archéologie didactique.

De nouveaux lieux se sont ouverts à Paris pour accueillir ces groupes : la brasserie Le Dreher, au Châtelet ; la Chapelle des Lombards, rue de Lappe — temple de la salsa latino-américaine ; et même le vieux Casino de Paris, qui se refait une jeunesse avec le son qui le vit naître, au temps de... Joséphine Baker.

La soul music, elle, va chercher refuge dans de plus vastes endroits. Quand Earth Wind et Fire vient en février, il choisit la Porte de Versailles. Hélas, mal sonorisé, le concert est très mal accueilli par un public frustré, qui a, de plus, bénéficié de conditions de confort très médiocres. On touche ici à l'un des problèmes qui empoisonnent périodiquement la scène musicale parisienne — et souvent nationale : spectateurs parqués comme des bestiaux, payant très cher le droit d'apercevoir, derrière une masse de têtes, un spot lumineux sensé éclairer un chanteur. Malheur aux petits ! Le son ne vaut souvent pas mieux que le spectacle. Et les conditions de sécurité sont très aléatoires, les organisateurs vendant souvent plus de billets qu'il n'y a de places. L'Hippodrome de la porte de Pantin est, à ce titre, un endroit dangereux et nauséabond (un mort en 77, de nombreux évanouissements à chaque concert). C'est pourtant là que se déroulent beaucoup de grands événements du rock, de la soul et du reggae — comme ce concert de Toots and the Maytals, un des pionniers de cette musique, créateur du ska bien avant qu'on en fasse une mode (mars).

Pérennité

Le retour des styles anciens a permis de faire venir des artistes qu'on n'avait pas vus depuis longtemps sur une scène parisienne. En 1967, la tournée Stax avait connu un prodigieux succès et révélé au public français les noms de Sam et Dave, Otis Redding... Otis est mort et Sam ne chante plus avec Dave. Mais le show Stax est revenu, avec Wilson Pickett, Carla Thomas et quelques-uns des plus beaux fleurons de la soul music éternelle (avril). Entre les séquences lancinantes d'UB 40 (novembre) et les expériences avant-gardistes de Nona Hendryx avec le groupe Material, la pérennité de ce genre, d'un style très pur et très swingant, est un peu l'équivalent noir du retour au rockabilly chez les Blancs. Une manière de se rassurer face à la disparité des écoles, aux errances des chercheurs, à la froideur des nouveaux instruments. Ou le raccourci le plus amusant pour retrouver la mémoire de l'adolescence.

Théâtre

Concurrence au cinéma et à la télévision ?

Au mois de juillet 1981, deux mois tout juste après son élection, c'est au Festival d'Avignon que François Mitterrand a réservé son premier voyage officiel en France. Une vieille habitude qu'il n'a pas voulu interrompre, mais aussi le symbole de son intérêt pour la culture, et pour le théâtre en particulier. Nul ne sait ce qu'a pensé le président de la République de l'étrange Roi Lear mis en scène par Daniel Mesguich, un brouillon hystérique dont il n'y avait pas grand-chose à sauver, mais peu importe : qu'il fût venu était l'essentiel, soulignant par cette visite la permanence et la primauté d'une manifestation prestigieuse

Avignon

Depuis quelques années, le Festival s'est ouvert aux créations étrangères. Après Pina Bausch, la saison dernière, on a pu y voir un Wozzeck en allemand, monté par le Théâtre de Bochum à la lumière de l'expressionnisme, et, sous un chapiteau, le Hamlet en anglais de la Footsbarn Company, merveilleux spectacle populaire, à mi-chemin du cirque et du rock, sans jamais trahir pour autant Shakespeare. Ce qui n'empêche pas Avignon de rester fidèle à des représentations plus classiques, comme celle de la Médée d'Euripide, psychanalysée par Jean Gilibert, et jouée par la Comédie-Française, notamment par une Christine Fersen émouvante, singulière, habitée. C'est elle aussi qu'on aura retrouvée sous le vertugadin de Marie Tudor, dans la version parodique de Jean-Luc Boutté, qui n'a pas craint de tirer joyeusement la barbichette du père Hugo, avec la complicité de Jacques Sereys et de Richard Fontana.