La danse moderne américaine est actuellement en crise et s'essouffle, tandis que la France prend le relais et tend à devenir le nouveau bastion de la jeune danse mondiale. Cet essor dépend en grande partie des suites que le gouvernement voudra donner à certaines initiatives prises par le nouveau directeur de la musique et de la danse, Maurice Fleuret, et de leurs répercussions sur la rue de Valois, où le ministre de la Culture, Jacques Lang, se tient dans une bienveillante expectative.

À l'issue des assises de Bagnolet qui ont réuni en décembre 1981 des professionnels de la danse pour passer en revue tous les problèmes d'un art encore considéré comme marginal, une commission de travail et de propositions a été mise en place en mai 1982 avec l'appui du ministère de tutelle. Dans une optique générale de changement, elle tente de définir les bases d'une nouvelle politique qui adapterait l'enseignement, la création et la diffusion de la danse aux besoins des artistes et aux désirs du public.

Tout le monde est d'accord sur la nécessité d'une action : l'augmentation du budget de la culture a entraîné tout naturellement de nouvelles possibilités pour la danse ; encore faut-il que la province suive. Comment être sûr que les sommes lâchées dans la nature dans le cadre de la décentralisation seront affectées aux ballets plutôt qu'aux majorettes ? Les responsables locaux ont-ils conscience du rôle qu'ils ont à jouer dans ce domaine ? La réponse est oui à Grenoble, à La Rochelle, à Lyon, à Rennes, à Caen, à Montpellier et dans la région parisienne ; mais le gros du travail reste à faire. 1982 est l'année charnière pour la décentralisation de la danse.

Cette année encore, le concours chorégraphique de Bagnolet Le ballet pour demain a mis en évidence la vitalité de la création. Les noms de Josette Baïs, Daniel Larrieu, Denys Detournay viennent s'ajouter à ceux d'anciens lauréats comme Jean-Claude Gallotta, Jean-Claude Ramseyer, François Verret, Maguy Marin, Dominique Bagouet, Caroline Dudan et bien d'autres, qui constituent le noyau de la jeune danse française. Ce sont eux qui alimentent la programmation des théâtres de la périphérie, des petits théâtres parisiens, des maisons de jeunes et de la culture et des festivals d'été. Reconnus par l'État comme un élément actif de la vie artistique, subventionnés, ils vont pouvoir disposer bientôt à Paris d'un lieu de rencontre et de création spécial, le Théâtre des arts.

Les trois grands

Cette activité vibrionnaire, absolument unique en Europe, se fait en marge de la production classique, pour laquelle le public marque toujours autant d'attachement. Le printemps dernier aura été un des plus représentatifs de cet impact, puisqu'on a pu suivie simultanément trois grands spectacles à Paris : le Ballet du Kirov au Palais des Congrès, avec des ouvrages traditionnels comme Giselle et Le lac des Cygnes, mais également avec une création contemporaine d'Oleg Vinogradov, Le Revizor d'après Gogol ; le Ballet eu xxe siècle, qui présentait deux nouveautés de Béjart au Théâtre musical de Paris (Châtelet), La flûte enchantée et Wien Wien nur du allein ; tandis que John Neumeier venu de Hambourg montait Le Songe d'une nuit d'été à l'Opéra de Paris.

Roland Petit — qui désormais va pouvoir disposer d'une école de danse — donnait à Marseille coup sur coup Les amours de Frantz et Les contes d'Hoffmann, ballets agréables mais qui n'ajoutent rien à sa gloire. À Lyon, le Néo-Zélandais Gray-Veredon, chargé de la danse à l'Opéra en remplacement de Françoise Adret, a présenté Lysistrata, charge plutôt lourde de la comédie d'Aristophane et que l'on ne prendra pas sérieusement en compte.

Il est symptomatique que le grand ballet classique manque actuellement de chorégraphes pour assurer la relève. L'Amérique a Balanchine et Robbins ; l'Angleterre, Mac Millan ; en Italie, c'est l'impasse ; le Danemark s'enlise dans les œuvres de Bournonville datant du xixe siècle, et, si la Hollande est bien placée avec le jeune Tchèque Jiry Kylian et la Suisse avec le solide talent d'Heinz Spoerli, l'Allemagne a dû récupérer un grand lyrique mal aimé, Peter Van Dyk, et un ancien de Béjart, Germinal Casado, plus théâtral qu'inventif. Heureusement Hambourg possède Neumeier, qui a créé en 1982 des œuvres aussi différentes que La Passion selon saint Mathieu et Petrouchka.

Renouveau

Essor de la danse d'une part, crise du théâtre parlé de l'autre, le résultat depuis quelques années se traduit par une sorte de mélange des genres, le geste venant prendre le relais des dialogues défaillants. L'exemple est venu des États-Unis, avec Meredith Monk et surtout Bob Wilson. Mais c'est l'Allemagne et le Japon qui s'affirment aujourd'hui, avec l'avènement d'une génération née de la guerre, traumatisée par la débâcle de 1944 et en réaction contre la société de consommation. Pina Bausch, directrice du Ballet de Wuppertal, en est l'élément le plus représentatif. Un peu partout où elle passe, elle crée l'événement. À Venise, Avignon, Paris... le public, agressé, demeure sans voix devant les déambulations de personnages du quotidien se complaisant dans des gestes banals ou exprimant, à travers leurs outrances, l'angoisse, la peur de la solitude et l'impossibilité de communiquer.