Néanmoins, l'action gouvernementale ne satisfait pas. Le petit remaniement ministériel du début d'octobre n'a intéressé que les spécialistes ; le rapport sur le VIIIe Plan annonçant « des prochaines années plus dures que les précédentes » c été relevé d'abondance. Les voyages présidentiels en province, dans le Nord-Pas-de-Calais ou en Bourgogne, avec le très préélectoral discours d'Autun, se passent bien mais marquent jeu. Le franc soutient le mark, ce n'est pas si banal, mais cela ne console en rien le million et demi de chômeurs ; l'aide substantielle accordée aux agriculteurs leur garantit presque le maintien de leur pouvoir d'achat, mais ne leur suffit pas ; le partage des tâches entre un Raymond Barre qui veille su' une orientation rigoureuse de la politique économique et un Valéry Giscard d'Estaing qui s'adresse alors aux Français catégorie par catégorie n'est pas absurde. Il convainc peu et ne séduit pas du tout. On cherche en vain un élan, un projet ou une perspective. Dans ces conditions, les 29 actions prioritaires assignées à Raymond Barre avant la fin du septennat sont à peine relevées.

Du côté des challengers, on y voit cette fois plus clair. Georges Marchais part, le premier des grands candidats. Le 11 et 12 octobre, une conférence nationale du PC l'investit. Il entreprend aussitôt une campagne véhémente, inlassable et manichéenne. Elle critique Valéry Giscard d'Estaing sans pitié, sans nuance, sans relâche. Elle est à peine plus aimable pour François Mitterrand, quotidiennement apostrophé. Ces exagérations et ces simplifications font que les 131 propositions du PC ne sont, sur le fond, guère débattues. Elles s'accompagnent d'un durcissement interne, qui provoque condamnations, sanctions et exclusions.

Georges Marchais avait pourtant juré, jadis, que ces méthodes étaient révolues. Des intellectuels sont expulsés, mis en quarantaine. Des journalistes communistes démissionnent, des écrivains s'en vont. La mise à sac — tout juste avant Noël — d'un foyer d'immigrés à Vitry, avec la caution de la municipalité communiste, soulève l'indignation. Plus tard, en février, la campagne antidrogue d'une autre commune du PC, Montigny-les-Cormeilles, accompagnée de dénonciations publiques, fait scandale. Au même moment, des militants de la CGT et du PC interrompent une émission d'Antenne 2 et Europe 1 consacrée aux jeunes et à l'emploi. Il y a volonté de choquer et de déranger. Le candidat communiste en semble moins présidentiable que jamais.

Au PS, également, tout est joué. La procédure toujours embrouillée de ce parti, aux mœurs plus démocratiques que les autres, a obligé Michel Rocard à faire officiellement acte de candidature à la candidature. Il est alors l'homme politique le plus populaire de France. Il rêve d'en découdre avec Valéry Giscard d'Estaing et de gagner, par la même occasion, militants et électeurs à ses thèses modernistes. Le 19 octobre, il s'adresse au pays depuis sa mairie de Conflans-Sainte-Honorine. Il rate son entrée.

Jean-Pierre Chevènement, leader ambitieux, actif, et doctrinaire de l'aile gauche du PS, se porte lui aussi sur les rangs pour le cas où François Mitterrand ne se présenterait pas. Mais le premier secrétaire met tout le monde d'accord. De nombreuses fédérations supplient qu'il porte à nouveau les couleurs du PS. Il avance sa décision prévue pour janvier. Le 8 novembre, il se déclare. Michel Rocard s'efface sans plaisir, Jean-Pierre Chevènement se retire avec empressement. Le député-maire de Château-Chinon choisit une ligne exactement opposée à celle de Georges Marchais, la ligne de la « force tranquille ». Il mènera une campagne paisible et rassurante, il joue de son âge pour tranquilliser, de son ironie pour blesser. Il dénonce ce qu'il appelle la complicité objective de Valéry Giscard d'Estaing et de Georges Marchais contre le changement. Il voyage, se laisse porter par la vague de mécontentement et courtiser par les lieutenants de Jacques Chirac ; il ne se croit pas favori, mais considère que les outrances de Georges Marchais et les canonnades RPR contre Valéry Giscard d'Estaing travaillent pour lui. Il ne cherche ni à séduire ni à dominer, il se contente d'engranger.