Synthèse

L'année Mitterrand

L'année 1930-1981 est placée tout entière sous le signe de l'élection présidentielle. Elle l'est chronologiquement, puisque les premières candidatures tiennent de se faire connaître quand elle commence et que les nouveaux pouvoirs achèvent de s'installer lorsqu'elle se termine. Elle l'est, surtout, politiquement et même psychologiquement, chaque geste, chaque initiative, chaque comportement ne se comprenant, pendant ces douze mois, que dans la perspective, puis dans le sillage des votes du 26 avril et du 10 mai. L'élection présidentielle est l'élection-reine de la Ve République. Elle l'est, cette fois-ci plus que jamais : le succès de François Mitterrand, le raz de marée socialiste qui l'a suivi aux élections législatives marquent de toute évidence plus qu'un tournant dans l'histoire de la Ve République, la naissance d'une Ve République bis. Pour la première fois sous ce régime, un président de gauche est élu ; pour la première fois depuis 25 ans, la gauche gagne des élections législatives ; pour la première fois depuis la Libération, des ministres communistes font leur rentrée au gouvernement ; pour la première fois depuis sa naissance (en 1905), le parti socialiste devient le parti dominant. Ce n'est pas une révolution c'est davantage qu'un simple changement de majorité.
Au centre du nouveau paysage politique, un homme domine la scène : François Mitterrand. Il est dans sa 65e année. Il a été au centre gauche l'un des jeunes ministres les plus choyés de la IVe République. Il est devenu ensuite, au fil des ans, l'un des adversaires les plus belliqueux du gaullisme, le challenger du général lui-même en 1965, et, progressivement, l'incarnation de l'union de la gauche. Il a conquis et réveillé le parti socialiste. Il a été, en 1974, l'adversaire malheureux de Valéry Giscard d'Estaing. Et voilà que cette fois-ci, malgré toutes les prédictions et tous les pronostics, et après avoir fort hésité lui-même à se lancer de nouveau dans la bataille, il l'emporte en battant au second tour, par 51,75 % des suffrages exprimés, celui qui l'avait défait sept ans plus tôt par 50,6 % des voix. Cette victoire, cette revanche, cette naissance d'un nouveau régime font que, de même que l'année 1974-1975 avait mérité de s'appeler l'« année Giscard », l'année 1980-1981 doit, tout naturellement, s'intituler l'« année Mitterrand ».
Elle s'ordonne en fait comme un opéra italien : une ouverture qui la mène du 1er juillet à la rentrée 80 et pourrait porter en sous-titre « Malentendu » ; un premier acte qui la conduit jusqu'en décembre et devrait être intitulé « Présages » ; un second acte qui s'achève avec le printemps et se nommerait « Bataille » ; un troisième acte, enfin, qui se terminerait avec l'installation du deuxième gouvernement Mauroy, et s'appellerait bien sûr « Victoire ».

Le 1er juillet 1980, ceux qui doutent du succès de Valéry Giscard d'Estaing ne sont pas légion. La situation mondiale est tendue. Tout l'été, les mauvaises nouvelles affluent. La révolution islamique se poursuit sans douceur en Iran. La guerre civile martyrise toujours le Liban ; les négociations ne progressent plus, entre Israël et l'Égypte; les fusées SS 20 soviétiques, continuent à être déployées ; deux sujets de sérieuses préoccupations supplémentaires font leur apparition : une guerre éclate entre l'Iran et l'Iraq, qui fait peser une menace accrue sur le pétrole ; en Pologne un puissant mouvement populaire balaie Edouard Gierek et le pouvoir en place, tolère plus qu'il n'aime son successeur Kania, met en évidence un leader syndicaliste qui va devenir célèbre, Lech Walésa, mais irrite fort Moscou.

Ce ne sont partout que froncements de sourcils et bruits de bottes. On se figure que cet environnement international assombri renforce plutôt les gouvernements en place. S'agissant de la France, on se trompe. Quand François Mitterrand suggère dans une interview au Monde une amélioration du fonctionnement du Pacte atlantique, il provoque des sourires sceptiques. Quand Valéry Giscard d'Estaing rend visite à Helmut Schmidt, en juillet, ou reçoit Margaret Thatcher, en septembre, et souhaite dans les deux cas un rôle renforcé pour l'Europe dans les affaires du monde, cela parait fort raisonnable.