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L'an 2000 est déjà commencé
Pieuvre verte pour les uns, plus puissant groupe de presse français pour les autres, Hachette est un colosse aux pieds d'argile. Un colosse, certes, que ce groupe international — quarante filiales, deux milliards de F de chiffre d'affaires sur cinq continents — qui touche l'édition — avec huit sous-départements (classique, littérature, politique, etc.) et quatorze filiales (Grasset, Fayard, Stock, etc.) —, la distribution — 18 % de tous les livres vendus —, l'audiovisuel, et même 8 % du capital de la Compagnie luxembourgeoise de télé-diffusion, qui contrôle RTL et Télé-Luxembourg. Mais un colosse aux pieds d'argile parce que son capital est très réparti : la Banque de Paris et des Pays-Bas (4,39 %), UAP (6 %), l'Union des banques suisses (4,96 %), le Groupe Worms (3 %), Edmond de Rothschild (5 %), Jean Riboud (1 %), Hachette (par la société Holpa 5,29 %), des membres de la famille (5 %) et de nombreux petits porteurs.
Dès le mois de novembre 1980, la question se pose de savoir qui a décidé d'acquérir Hachette quand 50 000 actions — sur un total de 1 800 000 — changent de main. À la fin de ce même mois, on apprend que c'est la Banque privée de gestion financière, présidée par Jean-Luc Gendry, qui a acheté en Bourse 10 % du capital. Dès lors, le mouvement s'accélère : le 3 décembre, 241 852 titres changent de propriétaire. Le 9 décembre, la BPGF contrôle 41 % du capital d'Hachette. Et elle le propose à Matra — un autre colosse, mais dans le domaine de l'électronique —, dont le PDG est Jean-Luc Lagardère. Ces 41 % sont alors repris par une société holding, Marlis, dont le capital est réparti entre Matra (20 %), Europe 1-Images et Son (18 %), Jean-Luc Lagardère et Sylvain Floirat (13 %), Daniel Filipacchi (20 %), la BPGF (19 %), Paribas (10 %). Finalement, à la suite de la vente de leurs actions par les petits porteurs, c'est 83 % du capital que détient la société Marlis. Le conseil d'administration nomme Jean-Luc Lagardère PDG, tandis que Jacques Marchandise devient son conseiller. Gérard Worms, qui entre chez Matra, est remplacé à la direction générale du groupe Hachette par Yves Sabouret. Daniel Filipacchi est nommé vice-président.
Cette union entre une vieille dame de l'édition — Hachette a été créée en 1826 —, aux structures un peu lourdes, et une entreprise tournée vers la technologie de pointe est un mariage de raison. Jean-Luc Lagardère avait déclaré, à l'Express, le 19 juillet 1980 : « Les années 80 vont se traduire par une expansion considérable de la communication (…). C'est sans doute le phénomène le plus important de la fin du siècle. Cette communication passe par des satellites, de l'informatique (...), de la micro-électronique. Les clés, ici, ce sont des équipements qui font partie de la panoplie Matra. »
Le nouveau groupe, dont le champ d'action va du manuscrit au satellite, peut avoir une puissance mondiale qui le place à égalité avec ceux des États-Unis. Mais, ici et là, quelques voix discordantes se font entendre : cette concentration échappera-t-elle à l'influence du pouvoir sur l'écrit et l'audiovisuel ? Quoi qu'il en soit une nouvelle étape est franchie : c'est la communication de l'an 2000 qui est en marche.
Avant que la vente du groupe ne soit réalisée, se situe l'affaire du Journal du Dimanche. Le 29 juillet 1980, un protocole d intention de vente est signé entre Gérard Worms et Jean-Charles Lignel. Mais la proposition de rachat du titre est repoussée par le conseil d'administration du groupe Hachette, ce qui provoque une assignation en justice par le propriétaire du Progrès de Lyon. Toutefois, il est débouté de son action le 17 décembre.
Mise en sommeil
Créé le 23 mai 1973, le quotidien Libération avait su, par son originalité, conquérir sa place dans la presse française. Aussi est-ce une surprise générale quand ce journal, qui vend quelque 40 000 exemplaires, annonce qu'il suspend sa parution. En fait, deux tendances s'affrontent au sein de son équipe : l'une, qui souhaite poursuivre l'expérience — pas de hiérarchie, rotation des tâches, salaires égaux pour tous (4 000 F par mois), pouvoir total à l'assemblée générale l'autre, qui désire réaliser un journal plus moderne, plus classique — avec éventuellement une rédaction en chef et des chefs de service —, offrant davantage de professionnalisme. Lors de l'assemblée générale du 21 février 1981, la thèse de Serge July prévaut : Libération s'arrête temporairement pour préparer une formule qui doit lui permettre de toucher 60 000 lecteurs. Les nouvelles structures de l'entreprise comporteront quatre sociétés : une société de rédacteurs, qui sera presque majoritaire avec 48 % des parts ; une autre de fabricants, qui en aura 24 % ; une troisième pour le personnel administratif, avec 18 % ; et une société des sages chargée d'arbitrer les conflits, qui en aura 10 %. Et Libération reparaît le 13 mai, après douze semaines d'absence des kiosques.
Bilan
La situation de la presse ne s'améliore pas. L'enquête annuelle par sondages du Centre d'étude des supports de publicité (CESP) fait apparaître qu'entre 1978 et 1980 la presse parisienne a globalement perdu 300 000 lecteurs, que seuls deux titres — l'Équipe et le Matin de Paris — enregistrent une progression statistiquement significative, que le Monde et la Croix sont pratiquement stables, que le Parisien libéré connaît une baisse légère, baisse plus importante pour le Figaro, très nette pour l'Humanité, France-Soir et l'Aurore. Ce dernier titre n'est d'ailleurs plus qu'une copie conforme du Figaro et, dès le mois de septembre 1980, n'est plus attaché à l'Aurore qu'un directeur de rédaction… sans rédaction.