Car on en compte beaucoup, cette année, de bons films. Même si, une fois de plus, le box-office ne leur rend pas toujours justice.
À noter tout d'abord trois œuvres qui, par l'ampleur de leur sujet et l'éclat de leur distribution, font heureusement mentir l'adage selon lequel la France ne sait faire que du cinéma intimiste : Malevil, de Christian de Chalonge, qui s'est inspiré, avec son coscénariste Pierre Dumayet, du roman de Robert Merle, évoque de façon à la fois saisissante et très plausible l'après-cataclysme atomique.
La banquière, de Francis Girod, manque de peu la vraie réussite en évoquant la vie de Marthe Hannau, la banquière des années folles : une distribution éclatante, autour de Romy Schneider, un luxe de décors et de costumes d'une rigoureuse fidélité à l'époque : un superbe album rétro, mais il y manque un peu d'âme.
Les uns et les autres, de Claude Lelouch, enfin, superproduction à la distribution internationale, vaste fresque musicale, chorégraphique, historique et sentimentale du monde de 1936 à nos jours, permet de retrouver les qualités et les défauts d'un metteur en scène sincère, émouvant et brillant technicien, mais d'une désarmante naïveté.
Original
Deux autres films sortent, également, de la routine habituelle. Le premier tranche par son sujet : l'antimilitarisme. Courageux comme d'habitude, c'est Yves Boisset qui s'attaque, dans Allons z'enfants, adapté du roman autobiographique d'Yves Gibeau, à la tyrannie militaire telle qu'elle régnait, du moins dans les casernes des enfants de troupe d'avant-guerre. Caricatural, disent les uns. Presque en dessous de la vérité, disent les autres. En tout cas, saisissant. Le second étonne par son audace – et l'originalité de son financement. Ce sont Les fourberies de Scapin, tournées par Roger Coggio avec l'appui d'un syndicat, la Fédération de l'éducation nationale. En respectant scrupuleusement le texte, Coggio (qui interprète Scapin) a fait de la pièce de Molière un prodigieux spectacle, plein de vie, de drôlerie, d'invention.
Dans la veine classique de notre cinéma, on retrouve cette année, dans le peloton de tête du box-office, Claude Pinoteau, qui, dans La boum, s'est souvenu des recettes de La gifle et met à nouveau en scène une adolescente, âgée cette fois, évolution des mœurs oblige, de quatorze ans seulement. Et encore Claude Berri, qui a tenté, dans Je vous aime, de camper une femme d'aujourd'hui, à la fois sentimentale et libre, interprétée avec charme par Catherine Deneuve. Moins bien accueilli, et pourtant bien moins conventionnel, Claude Sautet, dans Un mauvais fils, cerne, lui, les relations d'un fils rebelle et de son père. Un film un peu gris, mais sensible, où Patrick Dewaere montre qu'il peut décidément aborder tous les registres. Injustement boudé enfin, Claude Goretta, avec La provinciale, où Nathalie Baye interprète avec beaucoup d'intelligence une jeune enseignante aux prises avec des doutes professionnels et sentimentaux.
Les bleus à l'âme et les incertitudes du cœur dominent la production française. Mais, sur ce sujet éternel, tout est affaire de style, de ton. Cinq cinéastes ont fait preuve d'une particulière originalité dans ce domaine. Maurice Pialat, d'abord, dont l'agressif Loulou, interprété avec une violence paroxystique par Gérard Depardieu (et Isabelle Huppert), a fait la quasi-unanimité de la critique. Un film au réalisme parfois rude, où l'on voit, une petite bourgeoise se laisser envoûter par un loubard fruste et brutal et qui, peut-être, paraîtra bientôt, dans l'œuvre pourtant si passionnante de Pialat, un peu complaisant. Jacques Doillon ensuite qui, dans La fille prodigue, montre, à l'occasion encore d'une crise conjugale, une Jane Birkin méconnaissable, douloureuse et grave, aller jusqu'à l'inceste pour se délivrer d'une enfance mal oubliée. Éric Rohmer, aussi, entamant avec La femme de l'aviateur un nouveau cycle de comédies et proverbes en étudiant, avec la rigueur de l'entomologiste, les déboires amoureux d'un jeune postier. Alain Cavalier surtout qui, grâce à deux interprètes formidables, Jean Rochefort et Camille de Casablanca (la propre fille du réalisateur), a su faire d'Un étrange voyage, très injustement boudé par le public, un admirable film sur les relations d'un père et de sa fille, unis le temps d'une enquête le long de la voie ferrée, à la recherche de leur mère et grand-mère disparue.
Passion
Enfin, peut-on classer ici l'inclassable Zulawski avec Possession (film franco-allemand tourné en anglais) ? Dans la lignée de Polanski, mais plus excessif encore, il filme, avec une rare violence, une histoire de passion et de mort, où les fantasmes les plus délirants se concrétisent, partant d'une crise conjugale pour déboucher dans un fantastique sanglant. Du super-expressionnisme, provocant et complaisant, où Isabelle Adjani, récompensée à Cannes, dépasse les limites jamais atteintes à l'écran d'une tension portée au paroxysme de la folie.