Cette européanisation de la scène du rock est limitée au continent, avec quelques ramifications en Angleterre. Les courants circulent, les idées s'échangent d'un pays à l'autre et contribuent à créer une multitude de styles. Seuls des groupes américains à vraiment évoluer hors des poncifs du genre, les Talking Heads (décembre) se tournent vers l'Afrique et redécouvrent les musiques ethniques. L'influence du Britannique Eno est ici primordiale. L'apport d'une importante section rythmique noire a certainement donné beaucoup de punch aux Talking Heads, mais leur a fait perdre une bonne partie de leur charme acidulé de la première heure.
Il semble qu'aux États-Unis la partie la plus intéressante de la création musicale vienne encore de la côte est. Les Plasmatics en mai et les Cramps en juin proposent une nouvelle variété de rock : un mélange d'érotisme et de clins d'oeil aux films d'horreur comme Massacre à la tronçonneuse. La chanteuse des Plasmatics est quasiment nue et le guitariste porte un tutu de danseuse et des bas résille. Leur spectacle se termine généralement par un acte de destruction : explosion d'automobile ou instruments exécutés à la hache. Plus classiques, les Stray Cats (février et mai) relancent la mode du rockabilly, cet ancêtre du rock and roll né au début des années 50.
D'autres groupes se font connaître. Ainsi Polecats, Blue Cats, Shakin Pyramids, Pearl Harbour.
De New York aussi vient Garland Jeffreys, poète et chanteur noir dans la grande tradition de la rue naguère célébrée par Lou Reed. Jeffreys (mars) est au croisement de plusieurs cultures : rock, blues, jazz, reggae. Dans le monde du rock, il n'y a guère que Bruce Springsteen (avril) pour vibrer aussi intensément sur des histoires apparemment bien ordinaires. Springsteen est devenu en quelques années une nouvelle légende du rock and roll. On l'a comparé à un nouveau Dylan — un peu hâtivement, puisque l'original est toujours bien vivant et offre, en juin, au stade de Colombes, un concert devant 25 000 spectateurs.
En France, seuls Jacques Higelin (février) ou Sapho (mars) expriment cette âme, « soul », que l'on dit l'apanage des Noirs.
Hard rock
Face au déferlement de toutes ces nouvelles tendances, le public est parfois pris de court et se tourne vers les valeurs sûres, mouvements rétro ou consécration des valeurs bien en place. Le hard rock continue ainsi à connaître de beaux jours, avec les Australiens AC/DC (novembre) ou les Anglais Status Quo (mai). Là, pas de surprises : le volume est au maximum, les tempos sont martelés, les effets sont énormes et les spectateurs, assommés, sont contents. Le seul groupe français de hard rock, Trust, semble en perte de vitesse. D'autres préfèrent le rock-blues, efficace mais aux mélodies bien en place, de l'Irlandais Rory Gallagher. D'autres, enfin — la majorité —, se reconnaissent dans les subtilités développées par Dire Straits, champion du hit parade avec un certain nombre de morceaux aux climats enveloppants, magistralement interprétés à la guitare (juin).
Blues
Pour beaucoup de groupes ou de musiciens solitaires, la principale source d'inspiration continue à surgir de la musique noire. Certes, un Stevie Wonder (juin) est unique en son genre. Mais le blues, le bon vieux blues, continue à faire des émules, aussi bien en Angleterre qu'aux États-Unis (ainsi Tom Waits, dont le succès se confirme de plus en plus). De là-bas, c'est un George Thorogood qui vient jouer les thèmes de Willie Dixon, Elmore James, Chuck Berry dans une veine très proche de l'esprit de l'original (avril). Plus près de nous, c'est le retour du british blues, avec 9 below 0 (avril), très attaché à la tradition du style Chicago.
Pour eux, point n'est besoin d'adopter un costume spécial pour monter sur scène. Tout est dans le feeling et le doigté. Mais leur manière de cultiver une anti-image n'est-elle pas, dans une certaine mesure, une nouvelle image, celle des héros anticonformistes qui, susurre-t-on, seraient bientôt à la pointe de la mode — les nouveaux beatnicks ? Branchés sur le jazz, avec des groupes comme Lounge Lizards, qui refont du Thelonious Monk (mai), ou la poésie, avec John Cooper-Clarke ou Garland Jeffreys. Le mouvement beat connut son apogée lors de la guerre froide. Il devrait trouver un terrain idéal pour renaître à notre époque. Et, comme toujours, c'est dans la musique que l'on verra les premiers signes de sa nouvelle existence.
Théâtre
Des succès inattendus et durables
Alors que l'édition, par exemple, a beaucoup pâti cette année de la crise économique et des successives campagnes électorales, qui ont plus occupé les esprits qu'une littérature purement spéculative, le théâtre, pour une fois, a connu tout au long de la saison des succès inattendus et durables, comme si le public y cherchait une diversion à ses quotidiens soucis.