À la Comédie-Française, c'est Jacques Lassalle, artiste proche de Brook et de Sobel par ses choix, son esthétique, ses dogmes, qui vient de faire son entrée, en y réglant La Locandiera. Il s'est agi, bien sûr, d'un Goldoni contesté, presque janséniste, où la joie de vivre du Vénitien s'est muée en un curieux drame sentimental à résonance sociale. Très loin du personnage, Catherine Hiegel devait recourir à toute son intelligence pour imposer son aubergiste échappée de Port-Royal, tandis que Jacques Sereys, égal à lui-même, était une fois de plus le bonheur de la soirée. Jean-Luc Boutté, autre étoile de la maison de Molière, a monté dans le même esprit La double inconstance, mais le contresens volontaire y était plus fructueux, prouvant en particulier que Françoise Seignier peut très bien échapper aux emplois de servante ou de mère comique.
Éternelle jeunesse
En dépit de leur frustrante rigueur, on finit par préférer ces partis pris cohérents aux habituelles chienlits dont on enrubanne les classiques. Que dire, par exemple, des Plaisirs de l'île enchantée, tels que les a rêvés Maurice Béjart ? On n'y retrouvait ni Molière, ni Tartuffe, ni même l'invention du chorégraphe, empêtré dans ses tableaux vivants d'un mortel ennui. Même reproche aux Jumeaux vénitiens, pâle copie de Strehler où la troupe du TSE, Facundo Bo en tête, basculait dans la grosse farce guignolesque sous prétexte de moderniser Goldoni, dont l'éternelle jeunesse n'a nul besoin de cette jouvence artificielle.
La vraie nouveauté, on l'a trouvée chez Jean-Claude Penchenat, qui s'affirme comme l'un des metteurs en scène les plus sûrs et les plus originaux du moment Avec ses compagnons du Campagnol et l'aide de la population de Châtenay-Malabry, il a reconstitué Le bal des souvenirs, de 36 à nos jours, création collective mimée, dansée, passionnante, qui restera comme Le temps retrouvé du bastringue, spectacle véritablement populaire, où toutes les classes de la société pouvaient chercher provende à leur nostalgie.
Muette aussi, mais dans un genre burlesque, fut la performance de Jérôme Deschamps, dans La petite chemise de nuit, où son génie comique faisait merveille. Clown surréaliste, cet ancien pensionnaire du Français est en train d'inventer une nouvelle forme d'humour théâtral. Il a déjà ses émules, ses rivaux : un rire neuf nous naît.
Le théâtre, cependant, n'a pas renoncé à la parole, et des auteurs continuent d'apparaître çà et là. C'est le cas de Jacques Laville, dont Le fleuve rouge, longue rêverie sur les destins parallèles de Maiakovski et de Boulgakov, a su ressusciter une atmosphère très slave, dans un climat de réelle poésie, où Maréchal trouvait un rôle à sa mesure, facétieux et diabolique à la fois. Jean Bois continue lui aussi à produire, bien qu'on s'obstine à l'oublier après l'avoir découvert d'une pièce sur l'autre. On ne devrait pas oublier pourtant cette Vie en douce, étrange, où l'humour et l'angoisse mènent la sarabande des fantasmes au cours d'une fête insolite aux tendres grincements.
Imagination
Jean-Marie Koltès est également un nom dont il faudra se souvenir : La nuit juste avant les forêts a révélé son extraordinaire faculté d'imagination verbale au service d'une révolte puissante, sincère, superbe, dont Richard Fontana incarnait avec brio la violence passionnée, de même qu'il convient de retenir l'originalité profonde de Michel Viala, auteur de Est-ce que les enfants jouent-ils, ou le minutieux naturalisme hyperréaliste de Tilly, scénariste de Charcuterie fine. Quant au Conseil de classe, il n'a point d'auteur : le texte en était tiré des bandes magnétiques piratées par un professeur au cours d'une de ces réunions ou se décide le sort des élèves, mais l'Aquarium a toujours su manier ces matériaux bruts pour bâtir du vrai théâtre, en prise directe sur l'actualité de notre temps.
Enfin, au terme d'une année où l'art dramatique a résisté, vaille que vaille, aux aléas de l'époque, on accueillera comme un symbole de bon augure la création de deux salles nouvelles, et prestigieuses. D'abord, à Paris, le