Mais c'est au Parlement que la vague des questions s'enfle : au nom des groupes socialiste et communiste, Gaston Déferre et Robert Ballanger interpellent le gouvernement. Le ministre de l'Intérieur, Christian Bonnet, monte à la tribune et jure sur l'honneur qu'aucun des supérieurs de Jean Ducret, directeur de la Police judiciaire à Paris, n'était au courant de l'existence et du contenu de ces notes.
Les groupes socialiste et communiste engagent, le 15 avril, la procédure de mise en accusation de Michel Poniatowski devant la Haute Cour. Il s'agit de déterminer si l'ancien ministre de l'Intérieur était au courant des menaces contre Jean de Broglie, n'a rien entrepris pour le protéger, a violé le secret de l'instruction ou soustrait des documents à la Justice.
Le bureau de l'Assemblée nationale décide de créer une commission de 15 députés, qui décidera s'il y a ou non sur le fond des raisons de traduire Michel Poniatowski en Haute Cour.
Contradiction
M. Poniatowski riposte violemment, menaçant en particulier de poursuivre en diffamation les parlementaires qui demandent sa comparution. Il envisage un moment de réclamer 5 millions de dommages et intérêts aux groupes socialiste et communiste et finalement intente un procès au Quotidien de Paris, au Canard enchaîné, à l'Humanité et à Riposte, et surtout il affirme qu'il n'a jamais eu connaissance des fameuses notes, avant le meurtre de Jean de Broglie.
Quelques jours plus tard, l'enquête repart sur un autre terrain : la chambre de mise en accusation confie à son président un supplément d'information sur le dossier de Broglie.
Dès les premières auditions de la commission parlementaire, la thèse de Michel Poniatowski s'effrite. Olivier Guichard, qui était garde des Sceaux dans le même gouvernement, affirme qu'à l'époque il avait fait savoir que la conférence de presse de son collègue (« Tous les coupables sont arrêtés, le coup de filet est complet ») violait bel et bien le secret de l'instruction de l'affaire. Mais, surtout, Jean Ducret vient expliquer que Michel Poniatowski a eu connaissance des deux notes de la 10e brigade avant sa conférence de presse, et que certains de ses supérieurs les avaient lues avant le meurtre.
C'est alors Christian Bonnet, ministre de l'Intérieur en exercice, qui est mis en difficulté : ses propos solennels à la tribune de l'Assemblée nationale quelques semaines plus tôt sont en contradiction sur plusieurs points avec ce qu'établissent les enquêtes de la commission parlementaire et de la Justice.
À la fin juin 1980, l'écheveau que constitue cette affaire complexe n'était toujours pas démêlé.
Le suicide de Robert Boulin, ministre du Travail
Robert Boulin : homme d'État français, né en 1920. Député-maire de Libourne. Ministre du général de Gaulle, puis des présidents Pompidou et Giscard d'Estaing. Détenteur du record de longévité ministérielle. Mort le 29 octobre 1979, à Montfort-l'Amaury.
Un mot manque à ce qui aurait dû être la biographie express de l'homme qui, pendant vingt ans, a été le type même du grand commis de l'État, animé par le seul souci de son pays : suicide, car Robert Boulin a préféré la mort au déshonneur.
Le destin met Henri Tournet sur le chemin du jeune ministre Robert Boulin au début des années 60. Le ministre n'entend rien aux affaires. Son nouvel ami y navigue depuis la Libération. À deux ou trois reprises, Robert Boulin le laisse utiliser son nom pour obtenir la confiance d'organismes financiers.
Ramatuelle
Henri Tournet vend, en 1972, une partie de sa propriété de Ramatuelle à trois commerçants normands. À la suite d'une erreur du notaire chargé de la transaction, Me Groult, la vente n'est pas enregistrée. Et lorsque Tournet convainc, en 1974, son ami Boulin d'acheter à son tour 2 ha de ces terrains boisés, il lui revend une partie de ce qui a été déjà vendu. Pas pour très cher : 40 000 F, et, semble-t-il, le ministre a été remboursé ensuite de cette somme par le promoteur.
Sur cette histoire de double propriété, le piège se referme sur le ministre du Travail et de la Participation, harcelé par Tournet, qui lui réclame une intervention auprès de l'Administration pour obtenir des permis de construire sur le terrain de Ramatuelle. Ce qui, espère le financier, calmera les acheteurs normands. Robert Boulin, lui, a pu sans problème faire construire une villa de vacances sur ses 2 ha de pinède.