Reclus dans un appartement situé juste en face d'un poste de la milice, privé de téléphone et interdit de visite, l'académicien montre pourtant sa détermination à poursuivre son combat en faveur des droits de l'homme. Dans deux interviews parvenues clandestinement en Occident, il réitère son appel à l'unité de l'Occident face à l'URSS « totalitaire », accuse les dirigeants soviétiques d'« éliminer la dissidence et de favoriser l'alcoolisme » et se déclare prêt à affronter éventuellement un « procès public ».
Répression
En assignant à résidence le prix Nobel de la paix, qu'on estimait jusqu'alors, bien à tort, intouchable, les services de sécurité démontrent de façon flagrante ce que les événements de 1979 ont déjà illustré : personne n'échappe à la répression. De fait, le nettoyage pré-olympique se poursuit avec plus de vigueur que jamais tout au long de ces douze derniers mois. Alors que les derniers dissidents d'un certain renom, Anatole Chtcharanski, Youri Orlov, Serge Kovaliev, Sernion Glouzman ou Igor Ogourtsov, continuent de croupir dans des prisons ou des camps, beaucoup d'autres, moins connus, tombent aussi à leur tour dans la trappe.
Toutes les catégories-cibles de la police, religieux, juifs, nationalistes ukrainiens ou lithuaniens, militants des droits de l'homme, membres des syndicats libres (SMOT), sont touchés. Au premier rang, les dissidents chrétiens. Après le père Gleb Iakounine, prêtre orthodoxe arrêté à Moscou le 1er novembre, puis le physicien Lev Regelson, un des animateurs du Comité de défense des droits des chrétiens en URSS, incarcéré le 24 décembre, le plus connu de tous, le père Dimitri Doudko est appréhendé le 15 janvier 1980. Il sera libéré le 21 juin après avoir fait son autocritique. Le 15 mars, c'est au tour de Viktor Kapitantchouk, qui avait pris la place du père Iakounine au Comité de défense des croyants. Le même mois, la revue Kommounist dénonce « les extrémistes religieux, souvent obsédés par la vanité, qui mènent une activité subversive ».
Écrits clandestins
Les Juifs ne sont pas beaucoup mieux lotis. Si 1979 voit la délivrance d'un nombre record de visas de sortie (51 000), le nombre des candidats à l'émigration qui peuvent quitter l'URSS pendant le premier semestre 1980 diminue sensiblement et les pressions de tout genre continuent de s'exercer sur eux et leur famille.
La répression vise aussi les intellectuels, notamment les écrivains. Le poète Viktor Nekipelov, après avoir en vain tenté d'obtenir un visa pour Israël, est arrêté en décembre et condamné en juin à sept ans de camp et cinq ans d'assignation à résidence. L'écrivain Lev Kopelev, ancien codétenu d'Alexandre Soljenitsyne, auteur de À conserver pour l'éternité, est soumis à de violentes attaques dans la presse officielle et victime de multiples tracasseries policières.
Les écrits clandestins sont particulièrement visés. Quatre rédacteurs de la revue Poïski (Recherche) sont arrêtés en décembre et janvier. La Chronique des événements en cours, samizdat qui circule en URSS depuis douze ans, est privée de Tatiana Velikanova, arrêtée en novembre 1979 et de Malva Landa, membre du groupe moscovite de surveillance des accords d'Helsinski, appréhendée en mars 1980 et condamnée une semaine plus tard à cinq ans de rélégation.
Pourtant, malgré les arrestations, les condamnations, malgré le fait qu'il ne reste pratiquement aucun dissident d'audience nationale et internationale pour relancer le mouvement, les anonymes ne baissent pas les bras. « Chaque fois qu'un vide est créé, davantage de gens arrivent pour le remplir » dit Georgy Vladimov, écrivain et dirigeant de la section moscovite d'Amnesty International. Quant à Andreï Sakharov, il confie : « Nous traversons un moment difficile et troublé et l'avenir nous réserve des menaces encore plus grandes. Je reste néanmoins convaincu que l'activité des dissidents se poursuivra sous une forme ou une autre. »
L'invasion
La politique étrangère est entièrement dominée, à partir de janvier 1980, par l'affaire afghane ; celle-ci éclate le 27 décembre 1979 avec l'intervention massive des troupes soviétiques à Kaboul, envoyées pour permettre à Babrak Karmal, dirigeant l'une des branches du parti populaire démocratique d'Afghanistan (communiste) de renverser le président Hafizullah Amin, considéré comme un dangereux ultra, et de prendre le pouvoir. Amin est exécuté dans les heures qui suivent le coup d'État.