Le Rassemblement jurassien prétend tenir une assemblée de délégués le 15 mars 1980, en plein Jura méridional, c'est-à-dire en territoire bernois : à Cortébert, où il a pris la précaution d'acheter un hôtel. Fous de rage, les miliciens du Jura bernois attendent les militants du Jura jurassien. Cars arrêtés, hôtel assiégé, bagarre, quelques blessés. Kurt Furgler, solennel, prononce, le 19 mars, devant l'Assemblée fédérale, un discours sur les responsables de la violence. Mais il n'accuse pas le Rassemblement de provocation ; c'est aux autorités bernoises, qui n'ont pas su faire respecter la liberté de réunion et d'expression, qu'il adresse des reproches sévères.
Le 2 mars, le peuple suisse double un petit cap : en refusant une initiative sur la séparation totale de l'Église et de l'État, et en acceptant un article constitutionnel sur les mesures d'approvisionnement de guerre ou de crise, il émet son 300e vote depuis 1848, année de naissance de la Confédération moderne.
À vrai dire, il songe à des problèmes plus difficiles. La controverse nucléaire se poursuit. Un attentat, signé par le Groupe « Do it yourself », a fait des dégâts à l'extérieur de la centrale de Gösgen, le 3 novembre 1979. Les adversaires démocrates de l'atome sont évidemment les premiers à condamner la méthode explosive. Mais eux-mêmes se divisent. Ils préparaient une initiative constitutionnelle aux termes de laquelle on cesserait de construire des centrales et mettrait progressivement hors service les réacteurs installés. Or, divers comités se soupçonnent mutuellement de mollesse.
Le schisme se produit. Deux initiatives concurrentes sont lancées en même temps, le 6 mai 1980. Leur contenu est identique. L'une d'elles, cependant, s'accompagne d'une initiative supplémentaire, qui prévoit, elle, la perception d'un impôt spécial sur les énergies renouvelables, impôt que l'État central affecterait à la recherche sur les énergies nouvelles. Sauf réconciliation des frères ennemis, une bataille engagée de cette manière paraît une bataille perdue d'avance.
Douaniers
Le 14 mai, c'est avec la France que, brusquement, des tensions se produisent. Plus spectaculaires, du reste, que sérieuses. Ce jour-là, deux douaniers français (ils sont basés à Belfort) se retrouvent, stupéfaits, dans une prison bâloise. Ils avaient eu le tort d'opérer sur sol suisse, et leur informateur avait prévenu la police. Leur but était de suivre la piste de capitaux clandestinement exportés de leur pays et placés dans les banques helvétiques pour échapper, naturellement, au fisc. De plus, les deux hommes s'intéressaient au commerce des monnaies d'argent.
Le ministre Maurice Papon tient à Paris quelques propos musclés sur les Suisses, qui auraient piégé les enquêteurs. Les syndicats français de douaniers exigent la libération de leurs collègues et, trois jours de suite, bloquent le trafic pendant une petite heure le long de la frontière. Berne reste de marbre, et d'autant plus que, dans les faits, le gouvernement français n'exerce aucune pression diplomatique. Le Parti socialiste et l'Union syndicale suisses, en revanche, soulignent que l'évasion fiscale de la France vers les coffres du petit pays neutre a pris des proportions scandaleuses, et demandent l'élargissement des deux fonctionnaires.
Le 9 mai, le juge bâlois relâche le premier, Pierre Schultz, 51 ans, considéré comme un subalterne. Le 13, il relâche le second, Bernard Rui, 33 ans, mais sous caution de 50 000 FS. Et tous deux sont inculpés d'« actes exécutés sans droit pour un État étranger, service de renseignements économiques prohibés et infraction à la loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargne ». Le calme, aussitôt, revient de part et d'autre.
Le procès sera, le 17 juin, expédié comme la messe de Cucugnan. Après une audience publique de moins de dix minutes, le tribunal zurichois prononce des peines presque symboliques : pour Rui, 12 mois de prison avec sursis et 7 000 F d'amende ; pour Schultz, 3 mois avec sursis et 2 000 F d'amende. Et la caution sera restituée !