Béjart a toujours refusé de créer un ballet pour l'Opéra. Il lui a concédé la reprise de Serait-ce la mort ? musique de Richard Strauss, et la présentation de Life qui permet de revoir, vingt ans après, le grand danseur que fut Jean Babilée, toujours aussi fascinant.

Peu curieux, les Français auraient tendance à se contenter de ce qui se passe chez eux. Heureusement, le Théâtre de la Ville et le Festival d'automne sont là pour leur rappeler qu'à l'étranger le ballet contemporain se porte bien. D'intéressants chorégraphes s'affirment comme Jiri Kylian — architecte inspiré — au Nederland Dans Theater, Christopher Bruce, un visionnaire, et Glen Telley, un puriste, au Ballet Rambert. Mais c'est surtout sur John Neumeier que se concentre l'attention. Américain d'origine allemande et polonaise, directeur du ballet de Hambourg, ce jeune chorégraphe s'annonce comme le continuateur de Balanchine et de Robbins, le successeur de Béjart. Aussi à l'aise dans la relecture des grands ouvrages du répertoire que dans les recherches formelles, il est capable de faire aborder au ballet classique des rivages modernes sans lui faire perdre son dynamisme et sa spécificité. Cela ne l'empêche pas de monter pour Marcia Haydée, sa voisine de Stuttgart, une Dame aux camélias à la mesure d'un des derniers monstres sacrés de la danse.

En même temps qu'elle consacre Neumeier, l'Allemagne sécrète son anti-Neumeier, Pina Bausch, aussi acharnée à nous assener une quotidienneté sordide que Neumeier l'est à nous faire rêver. Agressifs, puissants, dérangeants, ses ballets — mais le mot paraît impropre — comme Les sept péchés capitaux et Barbe-Bleue débouchent directement sur l'engagement politique. Pina Bausch est une héritière de l'expressionnisme allemand des années 20 ; mais elle le dépasse. Sa gestuelle est bien d'aujourd'hui.

On ne peut imaginer plus grand contraste que le ballet du Bolchoï, programmé à la même époque au Palais des Congrès, où les premières tentatives chorégraphiques de Vassiliev, manifestement influencé par ses séjours chez Maurice Béjart, se soldent finalement par un magnifique péplum, Icare, accroché à tous les stéréotypes du ballet socialiste. Vassiliev, homme généreux, magnifique interprète, sauve de justesse un Vassiliev chorégraphe, conventionnel et timoré.

Périodiquement Noureev fait une apparition à Paris où il remplit les salles. On l'a retrouvé minci, décontracté, très en forme, avec les cheveux courts, s'amusant fort dans la troupe de Murray Louis où il jouait un rôle de composition. S'il reste une star dont le magnétisme subjugue, il n'est plus le plus grand des danseurs. Car le temps passe et c'est aujourd'hui le règne de Barychnikov tout aussi brillant techniquement que le fut le superbe tartare mais d'un aspect plus fragile. Et puis soudain, c'est la transfiguration. On l'admire, on l'aime pour ce miracle attendu, à chaque fois répété.

Inspiré par cet archange de la danse, Roland Petit a conçu La dame de pique, qui comporte des faiblesses mais aussi de fort beaux moments où le chorégraphe est à la hauteur de l'artiste qui l'a inspiré. Quelques mois après, Roland Petit créait La chauve-souris, un ballet sur mesure pour Zizi Jeanmaire, personnage hors série, constamment tiraillée entre les chaussons à pointe et le « truc à plumes ». Mais il est difficile de gagner sur ces deux tableaux à la fois.

Modèle américain

En danse moderne, les États-Unis restent toujours le modèle que l'on imite avec un certain décalage. On voit fleurir aujourd'hui à Paris des lofts (ateliers ou entrepôts) où de petits groupes habitent et se produisent. Car les mêmes causes engendrent les mêmes effets. Faute de disposer d'un théâtre ou d'une maison de la danse dans Paris, la création se disperse en de multiples cellules — au risque de s'y perdre.

Cette création reste toujours influencée par les fous de danse que sont Cunningham et Nikolaïs, tous deux fortement attirés par la vie en France. Le premier s'est produit avec son complice John Cage dans de nombreuses capitales régionales où le public est entré de plain-pied dans une forme de spectacle entièrement nouvelle, décapée de toute référence à notre passé culturel.