Quelques factures établissent désormais sans appel le poids respectif de Miró et de David Hockney, de Mondrian et de Kokoschka.

L'élément de base de la construction est bien le réalisme. Le jeu consiste à l'agrémenter de protubérances (préfixes ou adjectifs) qui pèsent en un point de la structure et entraînent la plus grande déformation possible du système sans jamais le disloquer.

Nouveaux réalismes

Le nouveau réalisme est déjà vieux, puisqu'il s'est offert le plaisir morose d'un bilan à la galerie Mathias Fels (avril-mai 1979) : machines à peindre de Tinguely, compressions de César, lacérations de Hains et Rotella, cartes postales de Martial Raysse, accumulations d'Arman, reliefs de déjeuner de Spoerri nous font irrésistiblement lorgner vers le grand ancêtre, le surréalisme. Si tout est art, comme le proclame Ben, l'art n'est rien. Il n'est pas à la portée de tout le monde de mettre la poésie dans la rue, pas plus que d'épingler la rue sur la toile.

Mais le mystère ne naît-il pas de l'extrême précision ? C'est ce que veulent prouver les métaréalistes (galerie Bellini, décembre 78 - janv. 79) qui pourchassent l'étrange et le rêve à travers une baguette de pain, comme Philippe Garel, une porte ruinée, comme Yuri Kuper, un paysage dépeuplé, comme Gérard Diaz.

Pseudo-classique, cette peinture qui cherche la ressemblance et se veut Copie conforme (CGP, mai-juin 1979) ? Tableau de W. Lam, photos d'identité de Chuck Close, élastomères vivants de John de Andrea, pied-de-poule minutieusement reconstitué de Jean-Olivier Hucleux : la distance est bien faible entre la lucidité de l'art et le trompe-l'œil, et c'est souvent l'illusionniste qui l'emporte, comme Kim Tschang-yeul et ses gouttes d'eau (Grands et Jeunes d'aujourd'hui, Grand Palais, octobre 1978). Bref, d'une façon générale, la peinture actuelle ne mime plus la technologie comme sa devancière des années 60. Certes, le cinétisme n'est pas mort, mais il fait figure d'art officiel sous les verrières du Grand Palais (octobre 1978) avec Vasarely, Cruz Diez, Dewasne, Yvaral ; au centre Georges-Pompidou, avec Agam (avril-mai 1979) et Soto (avril-juin 1979) ; à la galerie Denise René (mai 1979), avec Lissitsky, Leparc, Mortensen, Baertling.

La peinture qui se fait ne refuse pas la violence, l'agressivité, mais les monstres froids. Subjectivité plus ou moins nouvelle, romantisme plus ou moins sincère, la réalité au fond révèle en creux le regard posé sur elle : malaise d'un monde brumeux et crépusculaire parcouru de lointains vols d'oiseaux (Denis Rivière, galerie C, rue des Beaux-Arts, mars 1979) ; trouble d'un univers aux arêtes vives où la couleur blesse comme une arme (Cremonini, galerie Claude Bernard, mars 1979) ; images tendues où la seule vibration de la couleur trahit d'obscures catastrophes tectoniques (Michel Haas, Fonds national d'art contemporain [FNAC], rue Berryer, janvier-février 1979). La peinture d'aujourd'hui fait de la figuration intelligente.

Paris-Berlin (Centre Georges-Pompidou, 12 juillet - 6 novembre 1978)

Entre Paris-New York et Paris-Moscou, Paris-Berlin s'est révélé un match tout à fait original. Fond blanc pour les tableaux faits en Allemagne, fond gris pour les œuvres peintes en France. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les adversaires-partenaires ont du mal à se joindre. Quand le cubisme français se pose des problèmes de forme, la « Nouvelle Objectivité » allemande empoigne le réel à pleine palette. Aux fantasmes aériens du surréalisme français répondent les obsessions morbides de l'expressionnisme d'outre-Rhin. Concentration française et parisienne, dispersion allemande à Berlin, à Dresde, à Munich, à Weimar, à Hanovre, à Francfort. Décalage permanent donc, si bien incarné par l'écart entre la publication des œuvres majeures de Husserl et de Heidegger — voire de Brecht — et leur pénétration en France. Mais cette exposition française a quelque chose de « colossal » et d'exhaustif (à côté des tableaux et des sculptures, de très importantes sections sont consacrées à l'architecture, au théâtre, à la littérature, au cinéma).

Les frères Le Nain (Grand Palais, 3 octobre 1978 - 1er janvier 1979)

Une peinture à trois mains. Et des mains qu'on ne peut démêler : quelle touche revient à Antoine, à Louis ou à Mathieu ? Œuvre secrète : sur au moins 2 000 tableaux peints, on n'en reconnaît plus que 75 d'authentiques. Œuvre occultée, comme la vie des trois frères. Il est vrai que Mathieu, survivant à Antoine et Louis, et devenu riche, dut oublier — et faire oublier — peinture et roture pour obtenir le collier de l'ordre de Saint-Michel. Mais, s'ils ont pris leur part des ambitions et des illusions de leur époque, les frères Le Nain nous ont gardé la mémoire de son envers. Leurs paysans sont les soutiers du siècle de Richelieu et de Louis XIV. On reste confondu devant l'ineptie des commentaires qui ont salué ces images terribles : « joies simples », « modestie des attitudes », « réserve du mouvement », « dignité bien française », alors que ce documentaire sur l'état des campagnes dans la première moitié du XVIIe siècle sue la misère et la résignation. Loin de l'humanisme paysan des lecteurs de Virgile comme du batifolage champêtre à la Sévigné, les paysans de Le Nain nous fixent d'un regard vide, le regard des lendemains de peste, de guerre et de révoltes brisées.

Le temps des gares (Centre Georges-Pompidou, 22 décembre 1978 - 9 avril 1979)

La religion du XIXe siècle fut, selon Théophile Gautier, la « religion du railway ». Et Proust rêvait sur l'indicateur des chemins de fer. Mais on ne va plus aujourd'hui dans les gares pour se bercer d'espace et d'ailleurs. La gare n'est plus que la porte de la banlieue. Mais telles qu'elles sont là, entassées, peintes et modélisées, gares triomphantes des capitales européennes, gares étriquées des campagnes, gares exubérantes des colonies, gares folles ou académiques, les gares sont les révélateurs inattendus des fantasmes d'une société. Montre-moi ta gare et je te dirai qui tu es : pimpant comme à Vitré, vacancier comme à Deauville, monumental comme à Stuttgart, baroque comme à Saint-Gall. Et tout cela s'accorde si bien avec cette immense salle des pas perdus qu'est Beaubourg.

Magritte (Centre Georges-Pompidou, 17 janvier - 9 avril 1979)

Que cache Magritte ? Magritte peintre des lieux communs et des évidences. « Ceci n'est pas une pipe » ! Mais comment pourrait-on prendre la représentation pour l'objet ? Révolte linguistique ou révolution psychique ? Magritte se place sur le terrain de l'incontestable, mais sa seule affirmation suffit à le faire vaciller et à le rendre insolite. Grand amateur de glissades, de l'objet à l'image et de l'image au titre, Magritte, plus nettement que Chirico, qui le révéla à lui-même en 1922 à travers une reproduction de Chant d'amour (« Mes yeux ont vu la pensée pour la première fois »), est le créateur de la peinture mentale. Et du surréalisme le plus immédiatement perceptible et consommable — ce qui fait de lui l'ancêtre direct du pop'art. Au fond, un Magritte en cache un autre.

Chardin (Grand Palais, 31 janvier - 30 avril 1979)

Chardin n'a pas choisi. Pas choisi d'ignorer le beau style mythologique, les mièvreries des commandes aristocratiques ou le clinquant à la Rubens de la bourgeoisie montante. Pas choisi de ne pas faire le voyage en Italie comme tout peintre qui alors se respecte. Il était trop pauvre pour cela. Son menuisier de père en a fait un enlumineur d'enseignes, de dessus de portes, de carrosses, et Chardin s'est inscrit à l'académie de Saint-Luc, une confrérie d'artisans. Et, en bon ouvrier, quand il avait réussi un tableau, dans ces formats modestes qui sont les siens, il le reproduisait : pas l'extase romantique de l'œuvre unique, mais la solidité artisanale de la série. Chardin a peint au plus près : la famille, enfants et mère laborieuse, servantes dans les tâches les plus triviales, les objets quotidiens, la miche de pain, le compotier, la table desservie. Mais pas, comme on le répète à satiété, par passion réaliste. Ce n'est pas la chair sanglante de la raie qui fascine Chardin, pas plus que les radicelles du poireau, le tranchant du couteau ou la dentelle d'un bonnet. Chardin n'a jamais peint qu'une chose, la lumière et son jeu sur une matière : ce qui l'émeut, c'est le soyeux, le dur, le plat, le visqueux, le transparent... Chardin, qui sait peindre un verre d'eau. Chardin, dont la technique est aussi parfaite que celle de Rembrandt, et qui est aussi intelligent que Cézanne.

Paris-Moscou (Centre Georges-Pompidou, 1er juin - 1 novembre 1979)

C'est par une diversité encyclopédique que les organisateurs de la plus grande manifestation de coopération culturelle jamais réalisée entre la France et l'URSS ont choisi de traduire le bouillonnement littéraire et artistique des trente premières années du siècle en Russie. Il s'est alors vraiment passé quelque chose entre Moscou et Paris, entre le symbolisme de Vroubel et le réalisme de Brodski, grâce à des intercesseurs prestigieux comme Diaghilev et ses Ballets russes, ou des collectionneurs comme Morozov et Chtchoukine (dont la collection comptait 13 Renoir, 19 Monet, 29 Cézanne, 37 Matisse et 54 Picasso !). Au début, une commune passion du retour à l'origine, mais que la France va chercher dans l'art nègre, alors que les Russes n'ont qu'à se tourner vers l'art naïf des isbas. Et, tandis que les Français jouent encore avec les formes, les Russes explorent « l'espace du dedans » et se lancent, avec Malevitch et Kandinsky, dans la voie de l'abstraction et de tous les bouleversements : le suprématisme est le véritable voltigeur du léninisme. « La Russie n'est pas une province artistique de la France », disait Bourliouk dès 1919. Berlin était déjà le point de mire.

Ventes

La reprise espérée après les élections de mars 1978 n'a pas eu lieu. Bien au contraire, le chiffre d'affaires des commissaires-priseurs de Paris (il représente environ la moitié du volume des ventes) n'a progressé que de 6 % en 1978. Moins de grandes ventes, moins de marchandises de bonne qualité et sans doute une dispersion des acheteurs vers la province et l'étranger expliquent en partie ce médiocre résultat.