Cette cascade d'événements ne peut se comprendre que dans le contexte politique qui a présidé aux élections de juillet 1978 :
– des pressions exercées par les États-Unis sur le gouvernement du général Banzer (au pouvoir depuis 1971) pour qu'il redonne au gouvernement bolivien une légitimité démocratique ;
– une volonté, de la part du gouvernement, de mobiliser toutes les forces nationales sur une consultation électorale, à la veille de cette année 1979, année du centenaire de la guerre du Pacifique qui a privé les Boliviens d'un accès à la mer dont ils revendiquent régulièrement la restitution ;
– l'espoir, de la part du gouvernement militaire, de pouvoir imposer par les urnes le président de son choix. En effet, l'opposition ne parvient pas à l'unité politique qu'elle a réalisée sur le plan syndical.

L'opposition ne présente pas moins de huit candidats, parmi lesquels les deux leaders du Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR), Paz Estenssoro et Siles Suazo, le second reprochant au premier d'avoir soutenu le général Banzer. Le candidat officiel peut, en outre, espérer recueillir les voix de la Phalange, qui ne présente pas de candidats. Or, ces calculs se révèlent faux. Siles Suazo, le leader du MNR progressiste, candidat de l'union démocratique populaire qui a l'appui du parti prosoviétique, du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), du Mouvement nationaliste indien Tupac Katari (qui participe pour la première fois à des élections nationales) et de l'Alliance pour la liberté nationale (de l'ancien président Torres), arrive en tête dans de nombreuses circonscriptions.

Les irrégularités du scrutin (présence de militaires dans les bureaux de vote, absence de bulletins de vote de l'opposition dans certains bureaux) ne suffisent pas à assurer le succès du candidat officiel, le général Pereda. Sa victoire est cependant annoncée, le 13 juillet, après la manipulation des résultats. Il doit, sous la pression du général Banzer, saisir le tribunal constitutionnel, qui annule les élections le 19 juillet et recommande de nouvelles élections dans les 180 jours.

L'issue du nouveau scrutin est incertaine ; à la fois pour les militaires, qui ne peuvent pas courir le risque de manipuler les urnes à nouveau, et pour le général Pereda lui-même, qui craint une nouvelle candidature du général Banzer. Le lendemain de l'annulation des élections, le 20 juillet, le général Pereda s'impose par un coup d'État. Avec l'aide de l'armée de l'air dont il est l'ancien commandant en chef, il obtient le ralliement de nombreux militaires que le progressisme de Siles Suazo inquiète.

Privilégiés

En votant massivement pour l'opposition en juillet 1978, les électeurs désapprouvent en fait la politique du général Banzer menée depuis 1971. Cette politique a apporté une certaine prospérité économique, mais une prospérité qui a profité à un petit nombre de privilégiés. Alors que 20 % de la population accapare plus de 60 % des revenus, le pouvoir d'achat des salariés a diminué de 33 % entre 1971 et 1978. Non seulement les classes moyennes, mais aussi les ouvriers mineurs et les paysans (qui représentent plus de la moitié de la population active) ont été sacrifiés à la croissance économique. Le pacte conclu entre l'armée et les paysans par le général Barrientos, et qui était devenu la clé de voûte des régimes militaires depuis 15 ans, est rompu ; les populations rurales reportent leurs voix sur celui qu'elles considèrent comme l'héritier politique de ce MNR qui leur a donné une réforme agraire. Ce phénomène important permet de mesurer la fragilité du gouvernement Pereda, qui conserve finalement pour seul appui ceux qui refusent les perspectives d'une victoire de la gauche.

Le général Pereda lève l'état d'urgence le 11 août 1978, après avoir déclaré, la veille, qu'aucune élection n'aurait lieu avant 1980. Lorsqu'il renforce le caractère militaire du cabinet, en novembre, la riposte ne se fait pas attendre : le 24 novembre 1978, le général Padilla prend le pouvoir et annonce des élections pour le 1er juillet 1979. Ce gouvernement, qui se proclame, par conséquent, transitoire, est remanié le 16 janvier 1979. Trois ministres (Travail, Affaires paysannes, Transports) sont remplacés. Deux d'entre eux ayant mené une politique d'ouverture, le changement est interprété comme un léger virage à droite destiné à rassurer les milieux patronaux. Mais l'orientation fondamentale ne paraît pas remise en question ; la loi électorale est modifiée pour éviter les fraudes (il y aura désormais un seul bulletin multicolore) et autorise les candidatures des dirigeants syndicaux.