Conjoncture
Le pétrole contre le plan Barre
Le lendemain même de la réunion des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à Genève, Raymond Barre tient une conférence de presse à Paris, le 28 juin 1979, au cours de laquelle il déclare pour la première fois : « Avec une nouvelle augmentation de 18 % du prix du pétrole et les répercussions induites, il serait tout à fait irréaliste de ne pas s'attendre à une hausse des prix qui soit supérieure à 10 %. »
C'est l'aveu. Certains diront l'alibi. La hausse du pétrole ne permet pas au Premier ministre d'atteindre — dans les délais qu'il s'était donnés (3 ans) — les objectifs qu'il s'était fixés lors de son arrivée au pouvoir, en août 1976. R. Barre avait profité de la victoire de la majorité aux élections législatives du printemps 1978 pour concentrer sur cette année-là les mesures les plus impopulaires : hausse des tarifs publics, libération des prix industriels, dévaluation du franc vert (qui entraîne une hausse des prix agricoles), réduction massive des effectifs dans la sidérurgie. Il prolonge la purge au début de 1979, en relevant sensiblement les cotisations de Sécurité sociale, ce qui ne suffira d'ailleurs pas pour assurer l'équilibre financier de celle-ci ; de nouvelles mesures seront nécessaires durant l'été.
Coup dur
Mais, après cet effort, le Premier ministre espérait afficher des résultats flatteurs à la fin de 1979 : un équilibre extérieur durablement rétabli (la balance commerciale avait déjà été excédentaire en 1978) ; un franc solide ; un ralentissement sensible des salaires (dont la hausse devait revenir au-dessous de 10 % en 1979) et des prix (dont la hausse devait être d'à peine plus de 8 %, avec, en fin d'année, un rythme de 6 à 7 %) ; une modération de la croissance de la masse monétaire qui ne devait augmenter que de 11 % en 1979 (contre 12,3 % en 1978) avant de repasser, elle aussi, au-dessous de 10 % en 1980.
10 % ! C'était bien le seuil au-dessous duquel toute la politique des gouvernements Barre avait projeté de faire repasser successivement les prix, les salaires et la masse monétaire. Abritée derrière ce parapet, l'économie française devait être en mesure d'affronter les vents du large qui ne manqueraient pas de se lever à nouveau, car l'économie mondiale est entrée durablement dans une zone de turbulence. Il fallait absolument avoir franchi le pas avant qu'une nouvelle hausse du pétrole, une nouvelle dépression internationale ou une nouvelle crise monétaire ne viennent déclencher de nouveaux orages. Hélas ! le baril a sauté avant que le franc ne soit à l'abri.
Certes, la hausse du pétrole était inévitable. Les pays exportateurs ne pouvaient pas accepter une inflation mondiale (aggravée par la dépréciation du dollar) qui grignotait les avantages acquis en 1973-1974. Mais le gouvernement français espérait que cela se produirait un peu plus tard, et de façon plus étalée. La révolution iranienne et le mécontentement provoqué dans le monde arabe par l'accord Bégin-Sadate imposé par les Américains ont brusqué les événements. Le prix du baril de pétrole, qui avait quintuplé en 1973-1974 et était resté presque stable depuis lors, augmente de 60 % entre décembre 78 et juillet 79. Tant et si bien qu'il aura été multiplié par dix en moins d'une décennie, puisqu'il était de 1,80 dollar en 1970 et se retrouve à 18,5 dollars (pour le pétrole le moins cher) en juin 1979.
C'est un coup dur pour l'économie mondiale, et tout particulièrement pour l'économie française. Au sommet de Tokyo, les 28 et 29 juin 1979, les sept principaux pays industrialisés du monde non communiste (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne et Canada) ne cachent pas leur déconvenue. Les conséquences d'une hausse aussi brutale du prix du pétrole sont bien connues depuis le choc de 1973-1974 : d'abord vient l'inflation, puis le chômage. C'est le président Carter qui déclare à son retour de Tokyo : « Je crois que les décisions de l'OPEP rendent une récession plus probable que jamais. »
Inflations
L'OCDE a fait des calculs sur l'incidence de chaque hausse de 10 % du prix du pétrole sur les prix intérieurs des pays industrialisés. L'effet direct de la hausse du pétrole importé est estimé à 0,2 % ; puis viennent les hausses sur les produits liés au pétrole ou qui lui sont substituables (les autres formes d'énergie, par exemple), soit environ 0,2 % ; ensuite, arrivent les hausses de tous les produits qui utilisent l'énergie, soit à nouveau 0,2 % ; enfin, les salariés revendiquent des augmentations en fonction de toutes les hausses de prix, soit une incidence supplémentaire de 0,4 %. Au total, sur une période d'un an, chaque hausse de 10 % sur le pétrole entraînerait, par le jeu de tous ces mécanismes, une hausse additionnelle sur l'ensemble des prix de l'ordre de 1 %.