Les réactions d'ailleurs ne trompent pas. Au RPR, ceux qui s'opposent au maire de Paris reprennent confiance. Dès le lendemain du scrutin, le cabinet noir du président du RPR s'est disloqué, au moins en apparence. Pierre Juillet, le principal conseiller, discret et impérieux, a pris congé publiquement de façon assez altière en annonçant qu'il renonçait à s'occuper des affaires publiques. Marie-France Garaud, son bras droit, bête noire des parlementaires, part pour de longues vacances. Il y aura encore de vives contestations contre le seul rescapé de la bande des quatre (Yves Guéna ayant démissionné depuis plusieurs mois), Charles Pasqua.

Cela ne suffit pourtant pas pour apaiser les critiques — chabanistes, légitimistes, gouvernementaux ou jeunes députés inquiets. Le 13 juin, 9 anciens secrétaires généraux des mouvements gaullistes expriment, le plus courtoisement du monde, leurs préoccupations sur l'avenir du mouvement. Jacques Chirac reste tout à fait, comme le dit l'un d'entre eux, Robert Poujade, insupportable mais irremplaçable. Il est plus blessé qu'abattu.

Au PS, on règle les comptes. La nouvelle direction polémique avec la presse et avec sa minorité. Après un comité directeur fort agité, Pierre Mauroy et Michel Rocard refusent de participer à une convention nationale impromptue. Là non plus, rien de décisif n'a lieu, mais les blessures demeurent. En revanche, l'attribution au Parlement européen d'un siège supplémentaire à la liste UDF au détriment de la liste socialiste (ce qui entraîne la démission de François Mitterrand de l'Assemblée des communautés européennes) et l'affaire de la radio-pirate socialiste ressoudent plutôt le PS autour de son leader.

Les Français gagnés par l'indifférence

Le 19 juin, au cours de la deuxième émission Une heure avec le président de la République, Valéry Giscard d'Estaing laisse à nouveau la politique intérieure ostensiblement de côté. Il veut, en somme, consolider son succès en n'en parlant pas. Il insiste en revanche sur la nécessité d'une « croissance sobre » et sur ses espoirs de définition d'une position européenne commune sur l'énergie. C'est effectivement ce qui se produit au sommet européen de Strasbourg les 21 et 22, le dernier sous présidence française. Les Européens parviennent, au sommet des pays industriels occidentaux de Tokyo, à convaincre en partie le président Carter du bien-fondé de leurs thèses. Il est temps, car la conjoncture économique se détériore encore un peu plus et les décisions de l'OPEP, qui vient d'augmenter à nouveau brutalement les prix du pétrole, ont de quoi rendre pessimiste.

Pessimistes, les Français le sont d'ailleurs en cette veille de vacances. Le baromètre Figaro-Sofrès réalisé pendant la dernière semaine de juin le confirme. Il indique aussi (ce n'est pas une surprise) une baisse générale de popularité de tous les leaders politiques — Georges Marchais excepté. De fait, les Français en veulent à leurs dirigeants. La crise économique les inquiète de plus en plus, même s'ils savent qu'elle est, avant tout, internationale. En revanche, ils admettent mal que les leaders des partis continuent à étaler leurs querelles et leurs controverses. Ils en veulent aussi au gouvernement de ce qu'aucune solution ne se dégage visiblement.

Un fossé se creuse ainsi petit à petit entre les citoyens et leur classe politique. Le taux d'abstention aux élections européennes en est un premier signe. Le fait que les petites listes y aient obtenu toutes ensemble 12 % des voix en est un second. Un nouveau risque se crée : celui d'une défiance croissante à l'égard des professionnels de la politique. Ce n'est encore ni de l'anti-parlementarisme ni de la dépolitisation. C'est déjà une forme d'aliénation politique. C'est surtout un terrain favorable pour le développement de l'indifférence chez les uns et de la tentation de la violence chez les autres.