Mission accomplie, certes, mais n'est-ce pas une victoire à la Pyrrhus ? L'accord multifibre est valable quatre ans : dès 1982, il faudra bien rouvrir des vannes dont la fermeture n'a été admise par nos partenaires qu'au nom de la nécessaire reconversion de l'industrie textile. Que se passera-t-il alors ? Quelle peut être l'ampleur de cette reconversion européenne ?

Depuis un an — et malgré la rémission —, nombre d'entreprises exsangues ont été obligées de jeter l'éponge. Les grands groupes — Lainière de Roubaix, Dollfus-Mieg, Agache-Willot — ont tous perdu de l'argent en 1977 dans leurs activités textiles. Si Agache-Willot s'en sort remarquablement bien (avec un titre dont la valeur en Bourse a décuplé en deux ans !), c'est parce qu'il a fort judicieusement pris le contrôle de Conforama en septembre 1976. Les profits de la distribution permettent d'endiguer la voie d'eau ouverte dans le textile. Ils lui laissent le temps d'abandonner progressivement certaines activités fortement déficitaires (filature de coton, jute, tapis). Quant à DMC et à la Lainière de Roubaix, leurs réserves sont insuffisantes pour leur permettre de poursuivre la politique douce menée jusqu'ici. La Lainière a déjà annoncé plusieurs centaines de licenciements ; d'autres suivront (dans les articles tricotés). Et DMC devra sans doute fermer certaines unités cotonnières.

Drames

Parmi les ténors de la profession, le cas de Boussac — ce n'est pas nouveau — reste le plus difficile : plusieurs centaines de millions de F de découvert bancaire, 1 480 emplois supprimés dans les Vosges, un mini-empire (700 millions de chiffre d'affaires) ruiné par les pertes (90 millions de F en 1977) et dont les principaux actionnaires (la famille Boussac) n'ont plus beaucoup de répondant. Après le refus par le gouvernement du deuxième plan de sauvetage (lancé en 1975, le premier plan avait en effet échoué), proposé par le gérant Jean-Claude Boussac, neveu de Marcel, le groupe a été mis en règlement judiciaire. À la fin du mois de juin 1978, on ne sait pas si la liquidation du patrimoine familial (l'Aurore et Christian Dior notamment) permettrait de sauver les unités textiles ou s'il faudrait se résoudre à une vente par appartement.

Autre grand éclopé, dont la remise à flot risque d'être aussi périlleuse : Rhône-Poulenc textile, 5 milliards de F de chiffre d'affaires mais 700 millions de pertes en 1977. L'entreprise fait dans le polyester, l'acrylique, le Nylon et, accessoirement, l'acétate et la rayonne. Comme pour tous ses concurrents européens, 1977 a amené son cortège de déboires (surcapacité chronique, marché stagnant) avec, comme gâterie supplémentaire, une productivité largement insuffisante du fait d'un matériel acheté, en 1972-1973, à la veille d'une révolution technologique. Allez donc expliquer cela à un syndicaliste ! Il en sera, fort justement, indigné. Rhône-Poulenc doit fermer 5 ou 6 usines et licencier 3 500 personnes (sur 13 000) en deux ans. Il lui faudra inévitablement trouver des emplois de substitution à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise.

Tout le problème du textile est là : pour survivre, il lui faut aller du bas vers le haut de gamme, du produit simple vers l'article sophistiqué. Soit. Mais une telle démarche ne suffit pas pour endiguer l'inévitable hémorragie des effectifs. Avant que ne s'ouvrent les vannes fermées par l'accord multi-fibre, il aura fallu se reconvertir, comme ont su le faire les Willot. Pourquoi ? Les pays en voie de développement, les pays de l'Est, l'Italie, la Grèce, l'Espagne continueront à améliorer leurs productions, à aller précisément vers le haut de gamme, tout en restant structurellement plus compétitifs que nous ne le sommes. Peut-on lutter ? Certes oui, mais avec de lourdes conséquences pour des dizaines de milliers de travailleurs.

Le drame du textile ne fait que commencer. Si ces pionniers de l'industrialisation veulent éviter de mourir à petit feu, ils doivent apprendre à faire tout autre chose que ce à quoi ils sont habitués depuis des décennies.

Distribution

La bataille entre l'industrie et le grand commerce

Bien que la progression des ventes n'ait pas été tout à fait à la hauteur des espoirs des commerçants, l'année a encore une fois été, dans l'ensemble, calme. Certes, le blocage des marges des grossistes et importateurs en fruits et légumes en juin 1977 a suscité quelques protestations. Certes, les mesures décidées par Raymond Barre en novembre (blocage des prix du poulet, des eaux minérales, de sept pâtisseries fraîches, taxation de certains des vins servis dans les restaurants) ont fait un instant renaître la grogne dans les boutiques. Mais la guerre du croissant s'est limitée à quelques escarmouches. Dès fin décembre, tout rentre dans l'ordre.

Une progression limitée

– Le chiffre d'affaires du commerce de détail atteint, en 1977, 500 milliards de F, contre 454 en 1976, soit une progression en valeur de 10,2 %. Si l'on tient compte d'une hausse des prix de 8,9 %, la progression en volume est alors de 1,3 %.