Car ces étrangers nous réapprennent surtout l'humilité. Il n'est pas nécessaire d'être pédant ni de faire les pieds au mur pour être original, évidence depuis longtemps perdue de vue, semble-t-il, et même par les meilleurs de nos artistes.

Danse

Créations et recherches toujours absentes

Faire de la danse un art d'expression libre et universelle, c'est ce que veulent les tenants de la danse dite « moderne » ou « contemporaine ». Il semble que, cette année, ils aient gagné du terrain.

Beauté

Trois créations de Maurice Béjart dominent cette année encore le monde de la danse : Pli selon pli, une architecture complexe sur le poème de Mallarmé et la partition de Boulez ; Notre Faust, ballet total, obsession du chorégraphe, paraphrase à la fois théâtrale et méditative du texte de Goethe ; Farah (Joie), sorte d'exercice religieux qui utilise la symbolique des nombres (les danseurs évoluent par groupes de douze ou multiples de douze), la beauté insolite des caractères coufiques que retranscrit la posture des corps et le tournoiement sacré, rite essentiel des danses primitives.

L'art béjartien, par ses finalités et ses procédés, peut paraître hermétique, mais sa beauté plastique est si évidente, sa force d'envol si puissante, ses intentions si conformes aux aspirations de notre époque, et surtout des jeunes, qu'il attire un public de plus en plus nombreux. Ainsi Notre Faust, donné une première fois à Paris en janvier 1976, a dû être repris en avril.

L'auteur la plus proche de Béjart, par les finalités qu'elle assigne à la danse, mais très différente par le style qui, lui, ne fait plus aucune référence à l'école académique, c'est une jeune chorégraphe américaine, Carolyn Carlson. Elle s'était révélée au public de l'Opéra en 1972 avec un solo sur la partition de Varèse, Densité 21,5. Engagée comme étoile chorégraphe (titre inventé pour elle), Carolyn Carlson a constitué une troupe totalement en marge du ballet de l'Opéra, par sa philosophie de la danse, son style et son apparence hippie.

On lui doit deux tentatives intéressantes, Les fous de l'or et L'or des fous, au Théâtre de la Ville ; la troupe de Carolyn Carlson a triomphé au festival d'Avignon avec X Land. Par des mouvements de giration, de vastes cercles, est évoqué un monde à la fois mystérieux et proche. La dernière représentation, la dernière aussi du festival, s'est achevée sous les trombes d'un miraculeux orage : sur la scène glissante les danseurs contrôlaient difficilement leurs mouvements ; ils ne maintenaient leur équilibre que dans l'impulsion la plus audacieuse et la plus irréelle. La magie de la danse jouait à plein ses sortilèges avec la complicité du ciel.

À l'Opéra, mais à un spectacle présenté inhabituellement à 18 h 30 (on n'ose pas la proposer au public des habitués), Carolyn Carlson a donné un ballet de même inspiration, Wind, Water, Sand. Malgré l'usage de procédés qui trahissent parfois le désir d'étonner, elle a réussi à créer l'illusion d'une contrée indistincte, où les jeux du vent, de l'eau et du sable composent un paysage sans cesse remodelé : la patrie de l'imaginaire.

Révélation

L'influence de l'école américaine est de plus en plus sensible sur les jeunes danseurs. Le Centre culturel américain y est pour beaucoup : chaque mois il présente de jeunes danseurs appartenant à des compagnies qui fleurissent dans les universités américaines. L'une d'elles, les Pilobolus, a fait sensation à l'Espace Cardin. Chez ces jeunes gens, pas de préoccupation mystique, ni intellectuelle, ni même esthétique : le mouvement pour le mouvement. Leurs numéros sont des suites d'enroulements de corps, de gags d'une agilité strictement corporelle et stupéfiante. Pilobolus réalise une alliance inattendue et savoureuse de sophistication et de naïveté qui pourrait bien faire école.

On la retrouve chez un jeune chorégraphe italo-américain, Joseph Russillo, dont le ballet Fantasmes, à la fois narcissique et ironique, obsède comme un rêve.

Quant aux danseurs américains consacrés, ils n'ont pas, eux, paru à leur avantage. Alvin Ailey a abandonné sa veine originelle pour donner Carmina Burana de John Butler dans un style proche des stéréotypes du néo-classicisme. Ses réussites demeurent les triomphes de ses premiers ballets : Blues suite, une fantaisie afro-américaine entraînante comme un bon spectacle de Broadway, et Revelations, qui transpose dans la danse la nostalgie et la beauté des authentiques negro-spirituals.