Raison de ces carences qui provoquent en mai des incidents à Rostov, Kiev et Riga : la très mauvaise récolte en céréales de 1975, due en particulier à l'hiver extrêmement rude : 140 millions de t au lieu des 215 prévues par le Plan. Conséquence : non seulement une pénurie des produits de la terre, mais également de viande.
La production de viande ayant déjà accusé en 1975 une baisse sensible (13,7 millions de t au lieu de 15,2 en 1974), la situation du premier semestre 1976 a poussé les autorités à imposer le jeudi comme jour maigre dans tout le pays.
Dans le même temps, afin de garantir que la récolte 1976 (qui risque d'être aussi mauvaise) soit faite et stockée à temps, les dirigeants ont pris des mesures : plus grand intéressement des travailleurs, primes au personnel temporaire, crédits exceptionnels aux entreprises agricoles.
À plus long terme, ils projettent de supprimer purement et simplement les kolkhozes (propriétés sociales) pour les fondre avec les sovkhozes (propriétés d'État) dans des unions, afin d'accroître la production agricole grâce à une concentration et à une spécialisation plus poussées. Mais surtout les autorités ont commandé en mai 4,27 millions de tonnes supplémentaires de céréales aux États-Unis — ce qui porte à 16,2 millions de t le total importé des USA depuis juillet 1975.
Économie
À ce tableau assez sombre (qui a valu sa disgrâce au ministre de l'Agriculture Dimitri Polianski, nommé depuis ambassadeur à Tokyo) s'ajoute le déficit commercial, sans précédent depuis vingt ans, avec les pays occidentaux : 3,6 milliards de roubles (21,6 milliards de F). Cause : la crise économique mondiale. Elle a provoqué la stagnation des exportations vers l'Ouest et majoré, du fait de l'inflation, le coût du matériel occidental dont l'URSS, liée par contrat, a dû prendre livraison.
Si le produit national n'a augmenté que de 4 % en 1975 (contre les 6,5 % prévus), la production industrielle s'est accrue de 7,5 % (au lieu des 6,7 % annoncés) et les revenus réels de 4,2 %. Tant pour la production de pétrole (491 millions de t), que d'acier (141 millions de t) et de charbon (701 millions de t), l'URSS a nettement dépassé les États-Unis. Le bilan du 9e quinquennat traduit une progression de 28 % du revenu national, une hausse de 20 % du salaire moyen et de 43 % de la production industrielle.
Courbe qui devrait légèrement s'infléchir pendant le 10e Plan (1976-1980), notamment caractérisé par un ralentissement de la production de l'industrie légère : 30 % contre 37 % lors du 9e Plan, et de l'industrie lourde : entre 38 et 42 % contre 43 %. Seule prévision optimiste : l'agriculture (27 % de la main-d'œuvre du pays), pour laquelle 41 milliards de roubles de plus qu'au cours du précédent quinquennat seront attribués afin d'amener la récolte annuelle de céréales à ces 215/220 millions de tonnes attendues en vain cette année. Le salaire moyen des ouvriers et des employés doit augmenter durant la même période de 16 à 18 %. Si très peu de grands chantiers seront lancés dans la partie occidentale du pays, en revanche la mise en valeur de la Sibérie (quatre cinquièmes des ressources naturelles répertoriées) sera poursuivie activement.
Cela avec l'aide du Comecon, au sein duquel les échanges mutuels vont s'accroître : 300 milliards de dollars au cours des cinq dernières années, 450 prévus de 1976 à 1980.
Idéologie
Mais la poursuite par l'URSS de l'intégration économique des pays socialistes ne va pas de pair avec l'intégration idéologique. C'est le moins qu'on puisse dire après le XXVe Congrès et surtout après la conférence des PC européens. À l'Ouest comme à l'Est, nombreux sont ceux qui renâclent de plus en plus ouvertement devant l'autoritarisme de Moscou.
De la tribune du XXVe Congrès (celui des divergences, comme on l'a appelé), Brejnev a lancé de vives attaques contre les dissidents. Prudent dans sa colère, il n'en a nommé aucun, à l'exception de la Chine.
Mais dans les accusations de « révisionnisme de droite ou de gauche », de « nationalisme bourgeois » ou d'« abandon de la notion de l'internationalisme prolétarien » ou de « la dictature du prolétariat » qu'il a faites, les partis visés pouvaient facilement se reconnaître. D'un côté : Roumanie, Yougoslavie et, à un moindre titre, Hongrie, qui osent (mezza voce ou non) affirmer leur indépendance et le droit des autres partis à la même indépendance. De l'autre, les PC de France, d'Italie et d'Espagne.