Bien sûr, la position personnelle du secrétaire général du parti est apparemment plus renforcée que jamais. Malgré une santé toujours déficiente (sur laquelle des bruits divers circulent périodiquement), il demeure à 69 ans le leader incontesté du pays. Bien sûr aussi, la présence des mêmes hommes aux commandes de l'État démontre une stabilité. Reste pourtant qu'au bilan du no 1 soviétique, la colonne des pertes pourrait égaler sinon dépasser celle des profits. Deux des trois principaux objectifs qu'il s'était fixés n'ont pas été atteints : consolidation de la politique de détente, mieux-être de la population soviétique. Quant au troisième (harmonisation des rapports avec les partis frères), il est loin d'être seulement approché. En effet, même si le Sommet des 29 PC européens, tant désiré par Brejnev, a enfin eu lieu (29 et 30 juin 1976, à Berlin-Est), il n'a pas obtenu le « succès total » annoncé par la Pravda. Bien au contraire. Les compromis idéologiques acceptés par l'URSS pour amener tout le monde à venir ne lui auront apporté qu'une victoire à la Pyrrhus : « Moscou n'est plus Rome » pour de nombreux PC européens et s'il n'y a eu ni scission ni rupture affirmées, les déclarations d'indépendance de certains sont peut-être l'annonce que, demain, les rapports seront d'une tout autre nature.

Le XXVe Congrès (24 février-4 mars), qui aurait dû être la grande consécration du régime des soviets près de soixante ans après la Révolution, a démontré en partie la réalité d'une telle situation : bonne assise intérieure mais graves difficultés économiques, continuité quant aux orientations politiques mais divergences idéologiques avec nombre d'autres PC.

Relève

Sur le plan intérieur, la réélection sans surprise des principaux dirigeants inquiète. D'aucuns qualifient cette stabilité de « sclérose » et appuient cette définition d'un chiffre : 66 ans, qui est l'âge moyen des quinze membres du Politburo. Alexis Kossyguine, le chef du gouvernement, a 72 ans. Nicolaï Podgorny, le chef de l'État, 73, Mikhail Souslov, l'idéologue du parti, 74. Il est difficile d'imaginer cette même équipe présente au prochain congrès (dans cinq ans), et plus que jamais la question du renouvellement se pose. Déjà des promotions s'opèrent qui prouvent et le souci du Kremlin de préparer la succession et la volonté de Brejnev de l'assurer dans la continuité.

D'un commun accord les vétérans du bureau politique (conscients de leur grand âge) auraient décidé de limiter leurs activités publiques au profit d'hommes plus jeunes. Certains d'entre eux montent en première ligne : Youri Andropov, chef du KGB, Koulakov, Chtcherbitski, Gregori Romanov, Mikhail Zimianine.

C'est évidemment une autre raison qui a valu à Dimitri Oustinov (68 ans) de remplacer au poste de ministre de la Défense le maréchal Gretchko, décédé le 26 avril. Civil (mais spécialiste des industries de l'armement), il prend la responsabilité de l'armée à la grande amertume des états-majors, qui pensaient voir un des leurs accéder à cette fonction.

Pour beaucoup, cette nomination démontre la volonté des politiques de renforcer leur emprise sur une armée (traditionnelle adversaire de la détente) qui aurait tendance à oublier qu'elle est subordonnée au Parti. Cette promotion signifie peut-être aussi le désir des membres du Politburo de contrôler plus directement un budget annuel de plus de cent milliards de dollars, soit près de 30 % du budget national. Gouffre financier qui s'explique quand on sait que l'armée soviétique est la première du monde en nombre (3 millions et demi d'hommes) et la seconde (sinon l'égale des États-Unis) sur le plan de l'armement conventionnel et nucléaire. Mais gouffre qui n'en devient pas moins difficile à accepter quand on doit parallèlement faire face à une crise économique et financière indéniable.

Sans qu'il soit en rien question de réduire cette puissance, il est possible d'envisager tout de même un ralentissement du programme d'armement, ce à quoi continuent de se refuser les militaires. « L'expérience de la Seconde Guerre mondiale nous met en garde, avec le plus grand sérieux, contre une sous-estimation du danger de guerre engendré par l'impérialisme » écrit en mai dans les Izvestia le général Victor Koulikov, chef de l'État-major soviétique.