À vrai dire, la situation du pays, dans ce domaine, est complexe et quasiment insaisissable. Le recul des exportations, sensible avant tout dans l'horlogerie, et la chute vertigineuse du bâtiment ne permettent pas de résorber le chômage apparu l'année précédente et qui, proportionnellement très faible (0,9 % en décembre 1975), ne produit pas moins un effet de choc sur un peuple habitué de longue date au plein-emploi total. Des conflits sociaux, inhabituels eux aussi, éclatent.
Le 16 janvier 1976, les salariés de Bulova Watch Company (entreprise horlogère dont le siège est à New York) occupent l'usine de Neuchâtel. La direction s'apprêtait à la fermer. Il ne s'agissait, dans ses projets, que de transférer le personnel dans d'autres ateliers, à Bienne, c'est-à-dire à 60 km de là. Mais ce personnel est composé surtout de femmes qui, surchargées par leur double métier d'ouvrières et de mères de famille, refusent d'y ajouter encore une ou deux heures de trajets quotidiens. À Bienne, de plus, elles savent que leurs collègues de travail, inquiètes pour leurs propres places, les accueilleront fraîchement. L'occupation dure une dizaine de jours. L'autorité politique intervient en médiatrice. Et finalement le syndicat FTMH (Fédération des travailleurs sur métaux et horlogers) obtient une mince victoire : le transfert sera retardé d'une année.
Pendant ce temps, le franc suisse, très demandé par les spéculateurs mais surtout par les détenteurs de capitaux italiens et français, se surévalue vertigineusement. On ne le sent guère sur le marché intérieur. En revanche, les exportateurs tremblent : leurs produits deviennent si chers que le monde, craignent certains, n'en voudra bientôt plus.
Troisième élément négatif, le ralentissement des affaires entraîne une forte baisse du revenu fiscal, et la Confédération doit annoncer des déficits considérables. En 1975, le compte financier révèle un trou de plus d'un milliard, et, pour la première fois depuis une vingtaine d'années, le compte général entre lui aussi dans les chiffres rouges en accusant un passif de 1 milliard et demi.
Et cependant les indices de reprise ne manquent pas non plus. La récession avait incité les investisseurs et les épargnants craintifs à cacher leur argent. Étonnés, les banquiers constatent que leurs réserves ne cessent d'augmenter. Or (sans tenir compte de l'afflux des capitaux fugitifs des pays voisins), une telle accumulation déploie au moins un effet positif : puisque l'argent refuse de travailler et se gèle spontanément, l'inflation ralentit. Elle n'est, pour l'ensemble de l'année 1975, que de 3,4 %.
Bien mieux. La balance des revenus, à la fin de cette même année, présente un bénéfice extraordinaire de 8 milliards de francs. Un résultat qui comporte certains aspects inquiétants : on l'obtient, à vrai dire, parce que les importations ont reculé davantage encore que les exportations. Ainsi, déclare le conseiller national Jean-François Aubert, libéral neuchâtelois, les créances de la Suisse augmentent, mais l'activité réelle de son commerce et de son industrie diminue, de sorte que, si l'on n'y prend garde, le pays, exsangue, finira par mourir sur un tas d'or... Mais non : les statistiques du premier trimestre 1976 font état, au contraire, d'une reprise des exportations (+ 8,8 %).
La cherté du franc n'a donc pas eu les conséquences attendues et classiques. Les entreprises ont pu diminuer leurs coûts ; les hommes d'affaires à la recherche de marchés nouveaux se sont âprement battus ; les salariés, craignant le chômage et les congédiements, ont donné dans toutes les branches un violent coup de collier. Rien ne prouve naturellement que la météorologie conjoncturelle restera favorable. En attendant, si l'État s'endette, l'économie privée (et c'est bien le principal) fait montre d'une farouche volonté de guérison.
À côté de ces péripéties, la vie politique conserve un petit air pâlot. Le 7 décembre 1975, le peuple et les cantons approuvent un nouvel article constitutionnel qui consacre la liberté d'établissement sur tout le territoire sans aucune restriction. En même temps, les électeurs acceptent de donner des compétences nouvelles à l'État central pour unifier la législation sur les eaux, et approuvent une loi sur l'importation et l'exportation des produits agricoles transformés. Le scrutin suivant, le 21 mars, paraît de nature moins technique et plus propre à enflammer les esprits. D'un côté, l'Alliance des indépendants suggère de remplacer tous les impôts cantonaux sur le revenu et la fortune par un impôt fédéral unique. De l'autre côté, les syndicats proposent un article constitutionnel sur la participation des salariés à la gestion des entreprises. Mais, après une campagne qui semble avoir mobilisé surtout quelques élites politiques et syndicales, le souverain, très mollement, dit « non » deux fois.