L'épuration, soutient l'opposition, a été singulièrement limitée et superficielle ; l'armée de terre demeure toujours un bastion pour les officiers d'extrême droite ; les services de sécurité, la magistrature, le corps diplomatique sont peuplés de nostalgiques du régime des colonels. L'arrêt de la Cour de cassation, le 2 juillet 1975, excluant la poursuite pour haute trahison d'une centaine de personnalités (anciens ministres et hauts fonctionnaires ayant servi sous le règne de la junte) suscite un tel tollé que la cour d'appel renverse la décision le 26 septembre.
L'indignation est à son comble quand le gouvernement recommande, le 23 août, la commutation des peines de mort prononcées le même jour contre les trois principaux dirigeants de l'ancien régime, les généraux Papadopoulos, Pattakos et Makarezos. Leur procès avait d'ailleurs été suscité non par le gouvernement mais par des particuliers qui avaient porté plainte contre eux pour usurpation du pouvoir.
De nombreux journaux, dont certains sont pourtant favorables à Caramanlis, se sont élevés centre les légères peines de prison infligées à des tortionnaires, à des officiers tenus pour responsables de la sanglante répression exercée lors du soulèvement, les 16 et 17 novembre 1973, de l'École polytechnique (Journal de l'année 1973-74).
En guise de protestations, quelque 300 000 personnes manifestent le 17 novembre contre la mansuétude du pouvoir. Le 8 janvier, un remaniement ministériel offre l'occasion à Caramanlis de se séparer de son ministre de l'ordre public Ghikas, réputé sympathisant de l'extrême droite.
Marasme
La persistance de la crise économique, héritée en grande partie du régime des colonels, contribue à accroître les tensions. Malgré sa volonté de préserver et de favoriser le secteur privé, le gouvernement est contraint à prendre des mesures d'assainissement qui mécontentent les milieux d'affaires. Le patronat s'inquiète de la remise en question de contrats, conclus à des conditions abusives sous la dictature, de restrictions imposées pour alléger les pressions inflationnistes, des tentatives faites pour instaurer une fiscalité plus équitable, de diverses autres réformes vivement recommandées par l'OCDE. L'union des industries, soutenue par les banquiers et les armateurs, s'élève, au cours d'une conférence de presse, contre une politique jugée socialisante.
Le gouvernement parvient à réduire de moitié le taux d'inflation (environ 15 % en 1975), mais la croissance économique demeure insignifiante, le marasme s'accentue, les déficits de la balance commerciale et du budget de l'État s'aggravent. L'énorme dette extérieure (6 milliards de dollars) entraîne une charge annuelle de près de 500 millions de dollars ; la nécessité de développer les forces armées (en raison notamment du risque d'un conflit avec la Turquie) oblige le gouvernement à consacrer 25 % des crédits du budget à la Défense nationale alors que de nombreux projets de développement sont abandonnés ou ajournés, faute de fonds.
Marché commun
C'est pour des raisons à la fois économiques et politiques que Caramanlis multiplie les démarches auprès de pays amis, en particulier la France, pour obtenir l'intégration de la Grèce dans le marché commun. Il se heurte à des résistances, tant à l'intérieur (où des partis de gauche considèrent la CEE comme une sorte d'appendice aux États-Unis) qu'au sein de la Communauté européenne.
Certains de ses membres, en effet, ne veulent pas indisposer la Turquie et, en tout cas, créer un précédent qui appellerait la candidature de pays semblables dont les structures économiques sont inadaptées à celles de l'Europe industrialisée. Malgré tout, les ministres des Affaires étrangères des Neuf se prononcent en février pour l'adhésion rapide de la Grèce au Marché commun. Les négociations, cependant, seront longues (deux ans) au bas mot et la période de transition s'étendrait sur cinq ans.
Ceci n'empêche pas que le chômage s'étende, que les conditions de vie des travailleurs se détériorent, que l'agitation se répande dans de larges couches de la population. La passivité des syndicats, dans lesquels l'influence gouvernementale est souvent prépondérante, favorise les grèves sauvages qui se multiplient. Les forces de l'ordre sévissent avec brutalité.
Provocation
Des heurts, le 23 juillet, entre les ouvriers du bâtiment et la police se soldent par 70 blessés hospitalisés. Plus d'un demi-million de Grecs se mettent en grève les 24 et 25 mai 1976 pour protester contre un projet de loi (adopté par le Parlement le 27) qui restreint le droit de grève, légalise le lock-out, autorise le licenciement pour activités syndicales et renforce le contrôle policier dans les entreprises.