« La société indienne était trop alanguie », assure un ministre. En l'espace de quelques mois, l'Inde devient une démocratie musclée. Cette mutation s'opère en plusieurs étapes. Après l'instauration de l'état d'urgence (26 juin), qui sera approuvé par le Parlement le 23 juillet, le pouvoir interdit 26 mouvements politiques extrémistes, révolutionnaires ou fascisants (4 juillet). L'exécutif n'est plus tenu de motiver auprès des juges les arrestations d'ordre politique (17 octobre).

Le pouvoir judiciaire tente de résister à l'arbitraire, en refusant aux députés le droit d'amender à leur guise la Constitution (12 novembre). Cela n'empêche pas l'Assemblée du Congrès, réunie à Chandigarh, d'entériner le maintien, pour une durée indéfinie, de l'état d'urgence (29 décembre).

Fait sans précédent dans l'histoire de l'Inde indépendante : les élections législatives, prévues pour le printemps 1976, sont ajournées d'au moins un an. Nouveau durcissement le 8 janvier : le gouvernement suspend 7 libertés fondamentales (dont les droits de réunion, d'association, de libre déplacement). Puis, à la faveur d'élections partielles (27 mars), la Chambre haute du Parlement obtient la majorité des deux tiers, nécessaire pour amender la Constitution. La voie est désormais ouverte vers la mise en place d'un régime présidentiel à poigne.

Répression

Les arrestations se multiplient. Plusieurs dizaines de milliers d'opposants sont emprisonnés. Arrêté fin juin, le plus prestigieux d'entre eux, J.P. Narayan, est discrètement libéré (12 novembre 1975). Trop malade, il n'est pas en état, à 73 ans, de reprendre le combat politique. Les autres plongent dans la clandestinité. Georges Fernandez, célèbre dirigeant socialiste, est arrêté le 10 juin à Calcutta. L'opposition souterraine semble pourtant peu active. Diffusion de pamphlets, tentatives de sabotages, incitations à la grève : le plus souvent, cette agitation se révèle infructueuse. Le gouvernement frappe surtout l'extrême gauche. Le 1er décembre, deux paysans naxalistes (maoïstes), incarcérés depuis 1971, sont pendus. À l'occasion d'une mutinerie, plusieurs militants révolutionnaires s'évadent de la prison de Calcutta le 24 février 1976. Un peu partout des groupes maoïstes paraissent se reconstituer. Indira Gandhi conserve le soutien vigilant du PCI, parti communiste prosoviétique, tandis que le PC (marxiste), indépendant de Moscou et de Pékin, très implanté au Bengale, demande la levée de l'état d'urgence.

New Delhi renforce son emprise sur les gouvernements locaux. Un pacte, conclu le 30 novembre 1975, met un terme à la rébellion des tribus Nagas, vieille de vingt-sept ans. Le 31 janvier 1976, l'État du Tamil-Nadu (Madras) est placé sous contrôle fédéral. Le cabinet local dirigé par un mouvement d'opposition régionaliste, le Parti dravidien du progrès (DMK), est accusé d'avoir prôné la sécession. Le 12 mars, c'est au tour du Goudjerat, où la défection de quelques députés indépendants fait opportunément basculer dans le camp du Congrès l'Assemblée locale jusqu'alors gouvernée par une coalition de droite. Les 22 États de l'Union indienne sont rentrés dans le rang.

La presse la plus vivante du tiers monde (12 000 publications), orgueil légitime des Indiens, est bâillonnée. À la faveur d'une restructuration préparée de longue main, le gouvernement accentue son contrôle sur les moyens d'information. Instituée en même temps que l'état d'urgence, la censure devient permanente (8 décembre 1975). Des correspondants étrangers sont expulsés, des éditorialistes influents appréhendés (Kuldip Nayar) ou limogés (B. G. Verghese). Un code déontologique, rendu public le 8 janvier 1976, invite les journalistes à mettre en vedette les activités de l'État. Une lutte intense est entreprise contre les publications clandestines.

Programme

Indira Gandhi souhaite fortifier son parti. « Place aux jeunes » est son maître mot. Elle donne l'exemple en destituant Swaran Singh, ministre de la Défense et cacique du Congrès. Rien d'étonnant donc si Sanjay Gandhi, second fils d'Indira et directeur d'une entreprise automobile, effectue, à vingt-neuf ans, une entrée spectaculaire en politique. Devenu membre du comité exécutif de la jeunesse du Congrès le 10 décembre 1975, il anime des meetings, multiplie les interviews, étudie certains dossiers. Son ascension semble irrésistible. Le Premier ministre songe-t-il à perpétuer la dynastie Gandhi ?