En brossant, dans Enquête sur un citoyen..., le portrait d'un commissaire de police paranoïaque et sexuellement complexé, Elio Pétri s'attaque davantage à une société de type préfasciste qu'à un cas particulier dont le comportement parait davantage relever de la psychanalyse que d'une idéologie politique. Mais par le biais de cette satire au vitriol et en usant de tous les artifices d'une caméra coup de poing, Pétri lance un avertissement solennel à une civilisation dont la survie dépend de certains chiens de garde livrés à l'ivresse de leur pouvoir. Le film doit beaucoup à l'interprétation de Gian Maria Volonté, un acteur révélé par les westerns de Sergio Leone et qu'on a beaucoup vu cette année sur les écrans.
Curieusement, Queimada, de Gillo Pontecorvo, n'a pas obtenu le succès public auquel il pouvait logiquement prétendre (thème d'apparence exotique et présence d'un Marlon Brando rajeuni et transformé) en démontant le mécanisme de l'oppression impérialiste, démasquant aussi bien le faux libéralisme d'une bourgeoisie prompte à confisquer à son profit la Révolution que le parasitisme institutionnel d'une caste militaire.
Mauro Bolognini préfère l'intimisme au lyrisme épique. On savait depuis la Viaccia qu'il était un remarquable peintre impressionniste. Metello, à ce jour sa plus belle réussite, se situe dans la lignée des Camarades, de Monicelli, et d'Adalen 31, de Widerberg. Adaptant un roman de Vasco Pratolini, le Zola italien, il fait revivre les premières luttes ouvrières de la fin du XIXe . à travers l'éducation sentimentale et politique d'un jeune garçon. Dans le décor admirable de Florence, Bolognini s'est laissé guider par la spontanéité de ses interprètes et le résultat est captivant.
Le Conformiste, de Bertolucci, ne ressemble en rien à une décalcomanie du roman de Moravia dont il s'inspire. L'œuvre, très personnelle, prouve que l'auteur de Prima della rivoluzione a parfaitement digéré l'échec de Partner. Admirablement servi par Jean-Louis Trintignant, qui interprète le rôle d'un être veule à la recherche de sa normalité (et cette normalité dans les années 1930 c'est la fausse grandeur du fascisme autoritaire qui donne à ses prosélytes une carapace de pouvoir et d'autorité), et par un décorateur très inspiré, Bertolucci a mis en scène un film complexe et fascinant sur les traumatismes d'une époque.
Les autres productions italiennes paraissent anodines si on les compare à ces sept œuvres qui toutes révèlent la personnalité (même discutable à divers titres) d'un cinéaste. Dans les Fleurs du Soleil, Vittorio De Sica imite David Lean et son Docteur Jivago, en ajoutant quelques maigres piments de comédie vaudevillesque. Dans Don Giovanni, Carmelo Bene se pastiche lui-même, ce qui n'enlève néanmoins pas tout intérêt à la folie baroque de cet opéra de chambre. Dans Ostia, Franco Citti se montre un épigone discipliné de son maître Pasolini. Il faut noter deux petites comédies insignifiantes de Dino Risi (la Femme du prêtre) et Mario Vicario (Un prêtre à marier) sur le problème du célibat ecclésiastique, un sujet à la mode traité en vulgaire caleçonnade.
URSS et Europe centrale
Aucun film soviétique de quelque importance artistique n'a été programmé en France depuis Andrei Roublev. On sait par ouï-dire et en lisant les revues spécialisées que les cinéastes de talent (Tarkovski, Michalkov-Konchalevski, Paradjanov, Panfilov) ne sont pas inactifs, mais leurs dernières œuvres sont tenues sous le boisseau. Nous ne pouvons juger le cinéma de Moscou que sur ses produits d'exportation. L'académisme triomphe dans le Waterloo, de Serghei Bondartchouk, joli album d'images de style hollywoodien, et dans la Fuite, d'Alov et Naoumov, présenté au Festival de Cannes en dépit du refus unanime du Comité de sélection et qui est l'adaptation fade d'une pièce de Mikhail Boulgakov.
Tandis que le cinéma tchécoslovaque jette ses derniers feux (le très sophistiqué Fruit du Paradis, de Vera Chytilova), la Roumanie se révèle avec un film de très grande classe : la Reconstitution, de Lucian Pintilie, et la Pologne revient au premier plan avec deux films superbes d'Andrzej Wajda. Tout est à vendre est à la fois une réflexion sur les cruautés et les mensonges du cinéma et un oratorio désespéré tourné à la mémoire du comédien disparu Zbigniew Cybulski. Paysage après la bataille, où triomphe Daniel Olbrychski, l'acteur le plus populaire de Pologne aujourd'hui, est une réflexion profonde sur les déracinements politiques, religieux et culturels causés par l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale. Wajda — dont le tout dernier film, le Bois de bouleaux, est également une réussite — réapparaît, après une légère éclipse, comme le plus grand créateur du cinéma d'Europe centrale avec Jancso.