Non loin de là, au Théâtre de poche, qui a déjà un prestigieux passé, on a pu découvrir un auteur de plus, jusqu'ici cantonné au café-théâtre : Bernard da Costa. Les Adieux de la Grande-Duchesse, comédie très inspirée de Ionesco, nous racontait l'histoire curieusement symbolique d'un Chéri moderne, incarnation d'une trop fragile jeunesse vouée aux appétits dévorants d'increvables vieillards. Cocasserie y rimait avec poésie.

À mi-chemin des Branquignols, du cabaret et d'Audiberti, les deux spectacles de Jean-Michel Ribes, enfin, ont conquis d'emblée critiques et spectateurs. Les fraises musclées restaient une satire, au demeurant fort bien enlevée. Il faut que le sycomore coule avait plus d'ambition et d'ampleur, sans renoncer au comique des situations ni à celui des mots. Deux pièces en moins d'un an, c'est une performance pour un auteur qui n'en a pas trente.

Deux grands moments

Cette saison 1970-71, si contrastée dans ses échecs et dans ses bonheurs, restera toutefois dominée par deux grands moments de théâtre qui suffiraient à la rendre différente de toutes lès autres. C'est, en effet, au cœur de l'hiver, dans l'immense vaisseau glacial dune cartoucherie désaffectée, à Vincennes, qu'Ariane Mnouchkine a présenté 1789, après avoir créé ce spectacle à Milan, quelques semaines plus tôt. La précision a sa valeur, car l'influence italienne de Ronconi est évidente. On se souvient sans doute d'Orlando furioso, qui fut le clou du festival des Nations 1970, alors que cette année, avec XX, le même Ronconi a désagréablement surpris son public par l'extravagant désordre de l'Odéon, transformé pour la circonstance en HLM de cauchemar. Il est certain qu'Ariane Mnouchkine s'est inspirée de son usage intelligent de l'espace, et surtout de cet esprit de participation qui faisait d'Orlando une fête autant qu'un spectacle. Mais l'idée de génie, ce fut de choisir comme thème la révolution de 1789, et de le traiter en images d'Epinal animées, réveillant ainsi en chaque spectateur un vieux fond commun, car il n'est pas un Français qui ne connaisse plus ou moins le scénario de cette aventure nationale.

De plus, à l'invention de Ronconi, Ariane Mnouchkine ajoutait son propre sens de la mise en scène, du mouvement, de l'harmonie, dont la Cuisine et les Clowns demeurent de probants témoignages. Aussi 1789 fut-il une réussite éclatante, et chaque soir un prodigieux brassage de foule et d'histoire dans la naïveté retrouvée des grands enthousiasmes. Le succès, enfin, venait récompenser les efforts d'une troupe et d'une animatrice exemplaires, qui ont imposé leur style sans rien concéder à la facilité — ni au découragement.

L'autre événement, tout à fait inattendu, est né au festival de Nancy. Ce printemps, la révélation s'appelle Robert Wilson. C'est un jeune Américain, peintre en ses débuts, rééducateur d'enfants inadaptés ensuite, et qui semble ouvrir au théâtre, presque par hasard, une dimension nouvelle.

The Deafman Glance (le Regard du sourd) — qu'on a pu voir par la suite au Théâtre de la musique — avait pour principale qualité de ne ressembler à aucun autre spectacle. À mi-chemin de la peinture — surréaliste, symboliste, préraphaélite — et de l'univers psychanalytique freudien, ces tableaux à peine vivants et presque muets exerçaient une insolite fascination.

Pour la première fois, le public avait l'impression de pénétrer, à travers ces fantasmes en mouvement, dans l'inconscient d'un rêveur, et d'y découvrir la lenteur irréelle et envoûtante de la durée à l'état pur, ainsi d'ailleurs que la poésie telle qu'elle jaillit, brute, dans le merveilleux illogisme de l'imaginaire.

Sans trop s'aventurer, on peut affirmer que ce spectacle sans équivalent, et ainsi consacré par Paris, marque une mutation soudaine dans le développement de l'art dramatique d'aujourd'hui.

Il y aura peut-être désormais l'avant et l'après-Wilson ; 1971, alors, deviendrait une date dans l'histoire du théâtre, comme 1789 en est une dans la nôtre...

Après New York et Londres, Paris découvre O Calcutta. La pièce la plus nue de l'histoire du spectacle s'installe à l'Élysée-Montmartre, attirant un public curieux et dense que le prix élevé des places (25 à 60 F) n'a pas rebuté. Les premières représentations se déroulent à guichets fermés. Mais on ne va pas à O Calcutta sans passeport ; chaque spectateur doit remplir sa fiche de police, attestant qu'il est informé de la nature du spectacle et qu'il prend ses responsabilités.

Cinéma

Un public plus nombreux pour des productions de qualité

Pour la première fois depuis plus de dix ans, en France, on ne pourra pas se lamenter sur l'éternelle baisse de fréquentation. Un million de spectateurs en plus en 1970, est-ce suffisant pour inciter la profession à l'optimisme ? Est-ce le signe d'une reprise, d'un regain d'intérêt, d'une lassitude à l'égard des programmes de télévision ou plus hypocritement une sorte de faux plat qui ne protège pas des précipices ? Ce qui est sûr, c'est que la production n'est pas non plus en régression. Plus réconfortant encore : le niveau artistique des films à succès aurait plutôt tendance à s'améliorer. L'optimisme reste discret. Mais il est indéniable qu'on aurait tort de jouer les grincheux en se penchant au chevet du cinéma comme un vulgaire Docteur Knock. Certains problèmes demeurent. L'un d'entre eux, notamment, qui fait couler beaucoup d'encre depuis que Jacques Duhamel s'est installé au poste de ministre des Affaires culturelles. On parle avec de plus en plus de conviction d'une réforme de la censure qui pourrait aller jusqu'à sa suppression pure et simple, telle qu'elle existe du moins sous sa forme actuelle. Deux clans s'affrontent : ceux qui défendent vigoureusement la liberté d'expression du créateur et ceux qui aimeraient s'appuyer sur une loi pour enrayer l'inflation pornographique et protéger la jeunesse. Le Centre national du cinéma, dirigé par A. Astoux, a proposé un projet qui prévoit le maintien des mesures de contrôle pour la jeunesse jusqu'à 16 ans, la suppression de la précensure obligatoire et de la censure pour les adultes, l'information accrue sur le contenu des films, la suppression du visa d'exploitation, la modification de la Commission de censure, l'augmentation de la surveillance du matériel publicitaire.