Cette crise a montré quelle pouvait être la vole du dénouement pour le problème monétaire international.
Si le gouvernement français avait cédé, le 8 mai, aux pressions allemandes et néerlandaises, s'il avait accepté de cesser le rachat à prix fixe des dollars présentés aux banques centrales, c'est-à-dire la flottaison des monnaies européennes (qu'il était techniquement possible de rendre commune), l'étalon-dollar aurait vécu dès cette nuit-là. Nul n'aurait plus accepté de conserver une devise dont la quantité excède largement la demande, et dont le cours n'est maintenant tenu que par l'obéissance inconditionnelle des banques centrales à la règle du fonctionnement des changes fixes. Solution que ne souhaitaient certainement pas les Allemands et les Néerlandais. Paradoxale situation : c'est la résistance française qui a permis aux deux devises européennes de flotter sans mettre vraiment en danger l'étalon-dollar.
Double marché
La flexibilité commune des six, sept ou dix changes européens vers l'extérieur est techniquement possible. Si elle est inacceptable pour les échanges commerciaux, la flexibilité peut être limitée aux mouvements de capitaux et aux transferts. C'est la proposition qu'avait avancée la Commission de Bruxelles dans la nuit du 8 mai. Les six pays créeraient un double marché des changes : un marché à taux fixe (avec la marge de fluctuation habituelle) pour les règlements commerciaux, le tourisme et les services ; un marché libre où seraient vendus les dollars des mouvements de capitaux à court ou à long terme vers l'Europe, y compris les investissements directs des entreprises américaines, et où seraient achetés les dollars des placements européens vers les États-Unis, notamment les achats de titres à Wall Street.
Le franc belge financier, qui fonctionne depuis 1945, la devise-titre en France, sont des dispositions du même type.
La solution de la Commission de Bruxelles serait, certes, d'une application difficile. Mais elle répond aux données du problème : elle renchérirait les investissements américains en Europe et réduirait le coût des investissements européens aux États-Unis. Elle ferait porter les corrections sur la partie mouvements de capitaux de la balance des États-Unis, celle qui est responsable du déficit. Et surtout c'est une solution libérale qui permettrait, par le jeu du marché, d'éviter les contrôles et les protections.
Le VIe Plan
Objectif : l'industrialisation
Sur la feuille de route de l'économie française, quatre chiffres définissent les objectifs à atteindre : en cinq ans, jusqu'en 1975, la production doit augmenter d'un tiers ; grâce à quoi, le niveau de vie de chaque Français devrait croître d'un quart, les prestations sociales d'un peu moins de la moitié et les équipements collectifs (routes, téléphone, écoles, hôpitaux, stades, etc.) d'un peu plus de la moitié. C'est ainsi que le gouvernement caractérise le VIe Plan (1971-1975), que le Parlement a adopté définitivement en juin 1971, c'est-à-dire six mois après sa mise en œuvre théorique.
En réalité, ces chiffres dissimulent un débat qui n'est pas clos avec le vote sur le VIe Plan. Pendant l'élaboration de celui-ci, deux thèmes ont dominé toutes les discussions : celui du rythme de croissance de l'économie française et celui du type de croissance économique. Patrons, syndicalistes, hauts fonctionnaires, ministres, experts en tous genres se sont battus pour ou contre un taux de croissance à la japonaise et pour ou contre la priorité à l'industrialisation. Finalement, le taux de croissance retenu par le gouvernement, entre 5,8 et 6 % par an, n'a aucun rapport avec celui de l'économie japonaise, qui dépasse régulièrement 10 %.
Non seulement le chiffre retenu n'est pas comparable à celui du Japon, ce qui se comprend, car la situation des deux pays est très différente, mais il n'est pas supérieur non plus à celui que l'économie française a atteint au cours des cinq dernières années. Autrement dit, la France ne change pas de vitesse avec le VIe Plan.
Le gouvernement s'est expliqué là-dessus. Il estime, tout d'abord, qu'un taux de croissance proche de 6 % par an est déjà ambitieux, car c'est un taux plus élevé que tous ceux qui sont actuellement prévus pour les autres grands pays industriels occidentaux. En réalité, la France n'a guère le choix, car, si elle allait moins vite, elle connaîtrait probablement une poussée de chômage que l'opinion n'accepterait pas. Il est à noter, d'ailleurs, qu'en moyenne sur l'ensemble de la décennie 60-70 la croissance de l'économie française a été un peu supérieure à 6 % par an, alors que les jeunes classes, nées plus nombreuses après la Première Guerre mondiale, ne sont arrivées au travail que dans la seconde partie de cette décennie. Aujourd'hui, la nouvelle vague déferle dans les usines et les bureaux. Tout ralentissement de la croissance économique risquerait donc de rendre difficile leur insertion dans la vie professionnelle. Mais pouvait-on aller plus vite ?