Ce ne sont pas les jeunes qui donnent le ton de la musique aujourd'hui ; de toutes parts, partout, on leur dit ce qu'ils doivent écouter ».

Musique

Les festivals : tradition et contestation

La saison parisienne du printemps 1969 s'achève avec le festival Stockhausen. Dans le cadre du Palais de Chaillot et des concerts du TNP dirigés par le jeune chef Diego Masson, fils du peintre André Masson, on a pu entendre une trentaine des principales œuvres de Karl Heinz Stockhausen. Unique objet d'un festival de huit jours, Stockhausen est sorti de l'épreuve en triomphateur. Il a vu acclamer ce panorama gigantesque de sa production, allant de ses réussites de jeunesse : le Gesang der Jünglinge (devenu l'un des classiques de notre temps), jusqu'à ses compositions récentes les plus puissamment poétiques : Stimmung ou Hymnen, et à ses audaces les plus aventureuses : Aus den 7 Tagen ; avec la plus implacable lucidité et la plus souveraine maîtrise technique, il trouve là sa véritable altitude dans un univers de rêve fantastique, de délire poétique et de visions sonores. Une personnalité musicale qui domine vraiment notre époque.

Lisbonne, juin 1969, le traditionnel festival de la Fondation Gulbenkian, consacré à Haendel et à Berlioz, donne également la création mondiale de la nouvelle œuvre d'Olivier Messiaen, la Transfiguration : vaste oratorio pour cent choristes, sept solistes instrumentaux et grand orchestre (parmi les solistes, la pianiste française Yvonne Loriod et le violoncelliste soviétique Mstsislav Rostropovitch). Écrit sur des textes de l'Évangile selon saint Matthieu, de saint Paul et de saint Thomas d'Aquin, l'œuvre est une fresque monumentale, et Messiaen fait une impressionnante synthèse des moyens expressifs que son art emprunte à la fois à J.-S. Bach et à la musique du Tibet.

Au festival d'opéra contemporain de Hambourg, Rolf Liebermann présente la création mondiale d'un ouvrage très attendu et précédé d'une tapageuse publicité, les Possédées de Loudun. Opéra que le compositeur polonais Christophe Penderecki a tiré de The Devils of Loudun d'Aldous Huxley. Ancien homme de l'avant-garde, Penderecki a traité cette œuvre très classiquement.

Créations contestataires

Plus neuf fut le pôle d'attraction du Holland Festival d'Amsterdam : Reconstruction, œuvre collective de cinq compositeurs néerlandais (Andriessen, de Leeuw, Mengelberg, Schat et Van Vlijmen) et deux metteurs en scène. Spectacle total où l'opéra est au service de la politique, sorte de moralité en vingt-six scènes, exaltant le mythe de Che Guevara, symbole de pureté et de liberté, contre le mythe de Don Juan, personnalisant l'impérialisme américain. Naïveté des idées, mais excellent spectacle, plein d'invention et de fantaisie baroques, où se mêlent la musique de Mozart, le jazz, la pop'music, l'électro-acoustique.

Nombreux sont les opéras contestataires présentés dans les festivals de l'été.

À Avignon, Fêtes de la faim, de Claude Prey, ou Orden, de Girolamo Arrigo. Ouvrages combinant spectacle et musique, poésie dramatique et poésie musicale et où l'idéologie politique n'est souvent qu'élément parasitaire et alourdissant. Aussi a-t-on généralement préféré des œuvres moins engagées : l'intense Tjurunga, de Gérard Massias, d'après Antonin Artaud, l'admirable Syllabaire pour Phèdre, de Maurice Ohana, ou la très jolie chanson de geste chorégraphique de Maurice Béjart, les Quatre Fils Aymon.

À Besançon, mêmes recherches vers un spectacle total. Dans le cadre poétique et insolite des Salines d'Arc-et-Senans, Marius Constant a présenté deux opéras de chambre : la Serrure est improvisée pendant la représentation par les musiciens de l'orchestre ; le Souper est chanté sur l'accompagnement du chœur et non de l'orchestre. Quelques détails séduisants, mais l'ensemble demeure encore bien balbutiant.

Opéras traditionnels

Dans le domaine de l'opéra traditionnel, peu de chose à signaler au cours de l'été 1969. Deux attractions à Aix-en-Provence : un nouvel interprète de Don Giovanni possédant une très grande classe vocale et musicale, Roger Soyer, et une Rosine idéale avec Jane Berbié dans le Barbier de Séville. C'est aussi un Don Giovanni qui attire l'attention à Salzbourg : Nicolas Ghiaurov y trouve enfin sa véritable dimension scénique et vocale, tandis que le rôle de Zerline permet à la jeune cantatrice Mirella Freni de se montrer une grande artiste lyrique en pleine maîtrise. Toujours à Salzbourg, il faut souligner le succès grandissant de La rappresentazione di Anima e di Corpo de Cavalieri. Oratorio scénique donné maintenant dans son véritable cadre, la baroque Kollegienkirche, il fait désormais partie de la tradition spirituelle de Salzbourg, à côté du Jedermann de Hofmannsthal.