À Woodstock, plus de la moitié des participants à cette grande kermesse érotique, psychédélique, pacifique et fraternelle sont des étudiants. Parmi eux, les contestataires les plus agressifs de Columbia, Harvard ou Berkeley. Certains avaient édifié pour la nuit des abris précaires de foin, roseau et feuillages, retrouvant les gestes des Indiens les plus primitifs. Retour aux sources encore plus insolite, d'autres construisent des nids dans les arbres. Pourtant, la pop ne se charge d'aucun message politique précis et ne sert aucune cause. Faite pour être écoutée, cette musique se suffit à elle-même.
Ce désir des jeunes de se retrouver pour écouter ensemble leur musique s'est manifestée en France aussi, a une moindre échelle. La première tentative parisienne revient à Jean Georgakarkos, jeune directeur d'une maison de disques. Mais les autorités semblent mêler hippies, gauchistes, drogue et pop'music. Repoussé des Halles à Saint-Cloud, puis interdit en France, le premier festival pop français émigré en Belgique, à quelques kilomètres de la frontière. À Amougies, du 22 au 28 octobre, 50 000 jeunes participent à un véritable marathon musical animé par Frank Zappa, le leader des Mothers of Invention. Parmi les nombreux groupes, quelques noms célèbres : Pink Floyd, Nice, Soft Machine, Fat Mattress, East of Eden, et pour la première fois aussi des groupes français.
La pop française
Janvier 1970, le festival de l'Olympia marque l'entrée officielle de la pop en France. 27-29 mars, nouveau festival au Bourget avec Wild Angels, qui dans la vaste étiquette des styles pop représente le Rock revival, et Ginger Baker, sacré meilleur batteur de l'année. La pop'music envahit toutes les scènes : maisons de la culture (tournée des Soft Machine), Théâtre des Champs-Élysées (concert des Pink Floyd, opéra pop Tommy avec les Who), Théâtre de la musique.
Les groupes français sont loin de la perfection technique à laquelle parviennent les Anglo-Saxons et souffrent d'une maladie de jeunesse : l'imitation de ce qui se fait outre-Atlantique.
Martin Circus a osé le premier composer en français. We Free, groupe impressionniste tout en nuances, Ame Son, Gong, le nouveau groupe des David Allen (ex-Soft Machine), qui introduit dans la pop la poésie française (Waterloo de Victor Hugo), Zoo, une réussite musicale dans la lignée des Chicago Transit Authority.
Mais les groupes français trouveront-ils un sound propre à la pop française ou resteront-ils à la traîne des Anglo-Saxons ?
Les mots de passe
avoir du soul, être soi-même, s'exprimer complètement.
beat, composante rythmique constante, balancement incessant qui transparaît au plus fort de l'explosion sonore.
gimmicks, excentricités physiques ou vestimentaires.
groupies, jeunes filles qui assaillent les musiciens.
light show, films ou diapositives projetés autour de l'orchestre.
love in, rassemblement, manifestation en l'honneur de l'amour.
plastic, symbole de la société de consommation.
plastic man, expression péjorative qui qualifie le consommateur.
scat, chant en onomatopées.
sound, style musical propre à un groupe, recherche de la nouvelle sensation.
Le jazz
C'est d'Espagne que nous vient la lumière. En juillet 1969, le quatrième Festival international de jazz de Saint-Sébastien a réuni, notamment, le grand guitariste et chanteur de blues John Lee Hooker et le trio désormais célèbre formé par Buddy Tate au saxo ténor, Milt Buckner à l'orgue électrique ou au piano et Jo Jones à la batterie. Le swing, l'invention, la puissance d'exécution de ce trio sont tels qu'on a l'impression d'entendre un grand orchestre.
Donnant, pour la première fois en Europe, une série de concerts de musique sacrée, c'est à Barcelone que Duke Ellington a trouvé les voix capables de faire écho à ses incomparables instrumentistes. La chorale San Jordi, forte de quarante-cinq exécutants, a su rendre l'esprit et non seulement la lettre de la musique de Duke, ce que n'avaient su faire les bons chanteurs qui l'accompagnaient à Paris lors de son concert à Saint-Sulpice. Ce concert n'en fut pas moins admirable. Sous les voûtes habituées à d'autres accents, la musique de Duke s'est élevée comme une prière, encore plus prenante que surprenante.
Une sensibilité rare
Louis Armstrong, heureusement remis d'une longue maladie, a fêté son soixante-neuvième anniversaire. Pour le prochain, on lui élèvera une statue à La Nouvelle-Orléans, sa ville natale. En France, ce monument existe déjà, sous une autre forme : c'est le très beau livre que Hugues Panassié a publié sur le génial chanteur et trompette dont l'histoire se confond avec celle du jazz.