À Paris, l'opposition dénonce la « magouille ». Les socialistes s'en défendent. Ils affirment avoir imaginé ce découpage pour rééquilibrer les relations économiques et politiques, entre Nouméa-la-riche, Nouméa-la-Blanche et les autres régions.

L'affaire

Saturation ? Lassitude ? Modération ?... La polémique semble s'estomper en septembre, après ce scrutin, quand s'engage une autre polémique, différente mais plus aiguë et éprouvante pour le pouvoir : l'affaire Greenpeace. Elle avait en fait commencé en août. Mais les Français étaient en vacances. Ils n'avaient pas attaché une grande importance à un attentat qui s'était produit le 10 juillet en Nouvelle-Zélande, dans le port d'Auckland.

Un bateau de l'organisation écologiste Greenpeace, le Rainbow Warrior, avait été coulé. Il s'apprêtait à partir en campagne contre les essais nucléaires français en Polynésie. Un photographe, qui se trouvait sur le navire, avait été tué...

Le 8 août, le chef de l'État ordonne une « enquête rigoureuse ». Le Premier ministre la confie aussitôt à Bernard Tricot, secrétaire général de l'Élysée en 1967, sous la présidence du général de Gaulle. Enquête rapide. Conclusion le 26 août. Deux équipes de la Direction générale de la Sécurité extérieure se sont bien rendues en Nouvelle-Zélande pour « prévenir et anticiper les actions de Greenpeace ». Bernard Tricot est intrigué par l'emploi de ce verbe « anticiper » ; mais il ne croit pas, et il l'écrit, que le gouvernement ait donné l'ordre d'endommager le navire.

Le pouvoir, à qui l'opposition demandait déjà des comptes, est soulagé. François Mitterrand s'envole pour Mururoa le 12 septembre, visite le centre d'essais nucléaires et, le 15, à son retour à Paris, affirme solennellement : « La France poursuivra autant qu'elle le jugera nécessaire les expérimentations utiles à sa défense. »

Ce rappel d'un principe sacro-saint en France – la dissuasion nucléaire – satisfait toute la classe politique. L'affaire Greenpeace est presque oubliée. Mais, deux jours plus tard, coup de tonnerre. Le Monde révèle la présence à Auckland d'une troisième équipe d'agents secrets. Elle aurait commis l'attentat et aurait agi sur ordre.

Cette information déclenche une tornade. L'opposition se déchaîne. Les communistes et les barristes demandent à François Mitterrand de dire la vérité. Les chiraquiens et les giscardiens attaquent, eux, Laurent Fabius. Charles Hernu, ministre de la Défense, dément et protège les services secrets. La presse française et internationale titre chaque jour sur « l'Affaire »... Le chef de l'État, irrité, demande le 19 septembre au Premier ministre de prendre des mesures. Le 20, Charles Hernu démissionne. Paul Quilès lui succède. L'amiral Lacoste, le patron de la DGSE, est limogé.

Laurent Fabius confirme les révélations du Monde et accuse implicitement Charles Hernu d'avoir menti. Le général Imbot est nommé à la tête des services secrets. Il apparaît le 27 septembre à la télévision et dénonce, « à la Bigeard », sur un ton martial et assuré, l'« opération maligne de déstabilisation des services secrets ». Il affirme avoir « verrouillé son service et coupé les branches pourries ». Il n'en dit pas plus. Cette déclaration destinée à mettre un point final à cette affaire, renforce le mystère.

Plusieurs questions restent posées. Charles Hernu avait-il donné l'ordre de couler le bateau ? Avait-il informé, avant ou après l'attentat, l'Élysée et Matignon ? Pourquoi le Premier ministre s'était-il demandé si « on n'avait pas essayé de saboter le sabotage » ? Questions sans réponses. L'opposition ne cherche d'ailleurs pas à les obtenir.

Elle préfère s'intéresser, comme le gouvernement, au sort des faux époux « Turenge ». Le couple d'agents secrets arrêté en Nouvelle-Zélande est condamné en novembre à une peine sévère. Dix ans de prison. Mais il espère être expulsé.

Drôle d'affaire. Elle s'est abattue sur la France comme un cyclone, qui a tout dévasté, le temps d'un été. Le pouvoir déstabilisé, le Premier ministre en difficulté, le ministre de la Défense soupçonné, les services secrets désorganisés... Un autre gouvernement ne s'en serait peut-être pas relevé. Or, ici, curieusement, l'affaire Greenpeace s'éteint tout doucement quelques semaines plus tard ; personne ne remet en cause la politique de dissuasion nucléaire, au contraire ; enfin, ironie du sort, Charles Hernu, affaibli, attaqué, embarrassé et très discret en septembre, réapparaît en novembre, populaire et triomphant... Il compte même se présenter à l'élection présidentielle... si son ami François Mitterrand n'est pas candidat ! Les Français sourient.