Le parti communiste aurait pu continuer de gouverner, s'il l'avait voulu, avec les socialistes. Il a préféré rompre avec eux et semble plus à l'aise dans l'opposition... Il s'en donne d'ailleurs à cœur joie. Au cours du 25e Congrès, en février 1985, la direction du PCF balaie sans hésiter les états d'âme de quelques « rénovateurs » et exhorte les militants à dénoncer la « trahison » des socialistes. Le parti communiste espère ainsi – et c'est sans doute la vraie raison de son départ du gouvernement – freiner l'irrésistible chute. Espoir pour l'instant déçu. Il n'obtient que 12,67 % des voix aux élections cantonales de mars 1985.

Le Front national n'a pas les mêmes angoisses. Bien au contraire. Il est, lui, en pleine crise de croissance. Il a grandi si vite qu'il veut être reconnu par ses pairs, qu'il veut être admis dans la grande famille politique. Mais la grande famille, qui n'admet pas d'être à ce point dénigrée, le rejette. Le Front national n'est pas un parti comme les autres. Il réussit, bien sûr, à s'implanter dans de nombreuses régions de France, notamment dans le Midi et dans les zones urbaines ; mais, s'il obtient encore un bon résultat aux élections cantonales – 8,67 % –, c'est uniquement parce qu'il exploite les difficultés des Français, c'est parce qu'il laisse entendre que le chômage disparaîtra le jour où les immigrés s'en iront...

Les « modérés »

L'isolement du parti communiste, qui préfère le ghetto aux palais ministériels, et les excès de l'extrême droite permettent du coup aux autres partis de se poser en partis de gouvernement et de s'adresser non pas à une seule catégorie de Français mais à l'ensemble du pays.

À gauche, le parti socialiste et le Mouvement des radicaux de gauche ; à droite, le RPR et l'UDF. Eux aussi, tout les oppose, ou plutôt tout les distingue. Les divergences sont importantes sur le rôle de l'État, les nationalisations, la protection sociale, la lutte contre le chômage, la lutte contre la délinquance, etc., mais ils ont un point commun. La conception qu'ils ont de la société française est la même. C'est nouveau. Il aurait été impossible de le dire, de le penser même en 1981. François Mitterrand, candidat à l'élection présidentielle annonçait alors la rupture avec le capitalisme et l'avènement d'une autre société.

Cinq ans plus tard, à quelques mois des élections législatives, il « offre » une chaîne de télévision privée à des capitalistes, des hommes d'affaires qui affichent clairement leur intention : gagner de l'argent en faisant une télévision commerciale.

Cet exemple, qui provoque en novembre 1985 la colère de l'opposition – comble du paradoxe –, cet exemple illustre, à lui seul, l'évolution des socialistes. Elle avait commencé en 1982-1983 avec l'application d'une politique de rigueur ; elle s'est poursuivie en 1984 avec l'abandon du projet sur l'école privée ; elle a été admise même à demi-mots en octobre 1985 au congrès de Toulouse. Les socialistes seraient-ils devenus sociaux-démocrates ? À cette question, la plupart d'entre eux refusent de répondre. Ils n'aiment pas ce terme. Mais l'attitude de Laurent Fabius, Premier ministre, et celle de Michel Rocard, qui démissionne le 4 avril à cause de l'adoption de la proportionnelle, révèlent le chemin parcouru. Les deux hommes, les deux rivaux, qui incarnent, avec d'autres socialistes, l'avenir du parti, occupent le même créneau, celui d'une gauche très modérée, couleur pastel. Laurent Fabius choisit comme leitmotiv le slogan le moins provocateur « moderniser et rassembler ». Michel Rocard demande à ses camarades « d'oublier les clivages d'hier ». Les électeurs de l'opposition, qui contribuent dans les sondages à sa popularité, apprécient. Comme ils apprécient les initiatives du nouveau ministre de l'Éducation ; l'ex-enfant terrible du PS, Jean-Pierre Chevènement, surprend chaque jour. Il souhaite – et il est entendu – que les enfants apprennent à lire et à compter, fassent de l'instruction civique et chantent la Marseillaise.