L'image des socialistes est telle – après la « guerre scolaire » en 1984 – que ces mesures sont présentées comme un sage retour à la tradition...

Consensus ?

Le changement des mentalités apparaît d'une manière spectaculaire dans le débat qui oppose le 27 octobre 1985, sur TF1, Laurent Fabius à Jacques Chirac. Bien sûr, les deux hommes ne se font aucune concession ; ils ne se ménagent à aucun moment, mais, sur le fond, quel contraste avec le face-à-face Mitterrand-Giscard, en 1981 ! Il y a cinq ans, les deux candidats à l'élection présidentielle présentaient deux projets de société, deux systèmes de pensée antagonistes. Leur duel mettait en lumière l'état du pays. Un pays coupé en deux par un mur idéologique, par une ligne Maginot. Malheur à celui qui osait la franchir !

1985. Changement de décor. Jacques Chirac et Laurent Fabius proposent bien deux politiques différentes, deux démarches différentes ; l'une est libérale, l'autre est socialiste. Le président du RPR souhaite que l'État se montre le plus discret possible dans les affaires du pays ; le Premier ministre met en avant les risques d'un tel choix et refuse le désengagement de l'État. Mais ni l'un ni l'autre ne suggèrent la rupture, le bouleversement ; ni l'un, ni l'autre ne promettent le grand soir. Ils se contentent de vouloir améliorer le fonctionnement de la société ; contribuer au bien-être de leurs concitoyens en limitant le chômage, en réduisant l'inflation, en luttant contre la criminalité, en évitant les dépenses publiques et en éliminant les déficits...

Georges Marchais et Jean-Marie Le Pen crient au consensus, un terme chargé par eux de tous les péchés, et croient déceler dans l'attitude des deux hommes l'esquisse de la cohabitation. Le délit à leurs yeux a été commis. Le débat en fournit la preuve qu'ils exhibent dans tous leurs meetings. L'extrême droite ne voit dans Jacques Chirac qu'un social-démocrate déguisé. Le PC n'en démord pas, Laurent Fabius n'est qu'un social-traître.

Georges Marchais et Jean-Marie Le Pen ont tort. Il n'y a pas eu de délit parce qu'il n'y avait pas l'ombre d'une complicité. L'abandon des chimères idéologiques, le souci des réalités économiques et sociales, le rejet des modèles imposés ou fabriqués ailleurs qu'en France, en un mot le pragmatisme, ne signifient pas que les socialistes et les libéraux (c'est-à-dire le RPR et l'UDF, qui ont mis au point un programment commun de gouvernement) se soient rapprochés. D'ailleurs ils n'y tiennent pas. Ils font tout, au contraire, pour rappeler, souligner et grossir leurs divergences. Ils veulent ainsi rassurer leurs propres militants et tentent de récupérer les voix des électeurs perdues au profit de l'extrême droite ou du parti communiste. Cela conduit Jacques Chirac à durcir son discours sur l'immigration et François Mitterrand à insister, le 21 novembre, au cours d'une conférence de presse, sur l'importance des acquis sociaux et du bilan de la gauche au pouvoir. Mais les deux camps ne se contentent pas de se démarquer franchement sur le terrain économique et social. Il leur arrive de s'étriper joyeusement.

Les occasions ne manquent pas.

Les trois batailles

La Nouvelle-Calédonie, la proportionnelle, Greenpeace... Ces trois feuilletons politiques auront tenu les Français en haleine les neuf premiers mois.

Feuilleton dramatique en Nouvelle-Calédonie, où partisans et adversaires de l'indépendance s'affrontent. Ils sont armés. Des hommes meurent. Le souvenir de la guerre d'Algérie surgit. Edgard Pisani, désigné par le gouvernement pour résoudre la crise, avance l'idée, bizarre, d'indépendance-association. Elle ne convient à personne.

Le FLNKS réclame l'indépendance sans association. Le RPCR veut bien l'association mais sans indépendance. L'impasse est totale. Les incidents violents, meurtriers, se multiplient. Laurent Fabius fait en avril une nouvelle proposition : référendum sur l'autodétermination, mais pas avant le mois de mars 1986 (un cadeau offert à la prochaine majorité), élections régionales avant 1986. Elles ont lieu effectivement en septembre 1985. Les anti-indépendantistes l'emportent avec 60,84 % des voix. Le RPCR obtient la majorité au Congrès – 25 sièges sur 46 ; mais le découpage des régions est tel que les amis de Jean-Marie Tjibaou contrôlent trois régions sur quatre, avec seulement 35,18 % des voix.