Le nouveau débat politique

Année 1985. Année agitée. Année orageuse. Une tempête par saison.

Un hiver meurtrier en Nouvelle-Calédonie, où Européens et Mélanésiens s'affrontent. Un printemps tumultueux avec les élections cantonales et la polémique sur la proportionnelle. Un été torride pour le pouvoir avec l'affaire Greenpeace et un automne bruyant avec, déjà, la précampagne des législatives et le premier choc télévisé, Laurent Fabius contre Jacques Chirac.

Quelle année ! Les hommes politiques n'ont pas laissé aux Français le temps de souffler et leur ont donné un avant-goût des batailles qui s'annoncent.

La première est imminente. 16 mars 1986 : élections législatives et régionales. Les conséquences d'une victoire éventuelle de l'opposition donnent à ce scrutin un caractère dramatique. Le président Mitterrand doit-il partir ou non ?

Cette question occulte toutes les autres, bien avant le jour « J » et déchaîne les passions. L'enjeu est tel que les chefs de partis s'opposent avec acharnement.

Ce n'est plus un débat, c'est un combat. Obsédée par cette échéance, la classe politique fait croire aux Français que le pays est à son image : divisé, crispé, mobilisé par un affrontement sans merci. Illusion trompeuse.

Le nouveau paysage

Le vacarme, amplifié chaque jour par les médias, masque en fait l'essentiel. Un événement s'est produit en 1985, imperceptible, invisible. La France est peut-être entrée, sans vraiment s'en rendre compte, dans une ère nouvelle, une ère où la vie politique ne se réduira plus à une « guerre » entre deux blocs antagonistes, gauche contre droite. Une ère où le débat ne se résumera plus à une formule lapidaire, brutale, sans appel : l'enfer, c'est l'autre...

10 mars 1985. Premier tour des élections cantonales. Antenne 2 – 20 heures. Les présidents ou secrétaires généraux des partis s'assoient autour de la même table : Lionel Jospin, Jacques Toubon, Jean Lecanuet, Jean-Marie Le Pen. Georges Marchais n'est pas là (« Pas question de voir Jean-Marie Le Pen »).

Lionel Jospin s'en prend à Jean-Marie Le Pen, qui critique Jacques Toubon, qui réplique à Lionel Jospin, qui attaque Jean Lecanuet, qui égratigne Jean-Marie Le Pen, qui fustige Jospin, qui...

Apparaît alors Georges Marchais, qui veut bien intervenir en direct du siège du parti communiste, place du Colonel-Fabien et qui, lui, s'en prend à tout le monde, y compris au gouvernement...

Lui succède Simone Veil, qui est restée chez elle, mais qui peut s'exprimer grâce aux moyens techniques et qui blâme et les communistes et les socialistes et l'extrême droite !

Minuit. Résultats définitifs. La droite a gagné : 57,74 %. La gauche a perdu : 41,44 %. Les projecteurs s'éteignent. Les téléviseurs aussi. Le téléspectateur s'endort. Une soirée électorale comme une autre, pense-t-il. Toujours la même rengaine ! Mais il se trompe, cette fois.

Il a cru assister à la sempiternelle confrontation entre la gauche et la droite. Il y a bien eu confrontation, mais entre les gauches et les droites. C'est le principal enseignement du scrutin et du débat. Les arguments, les mots, les comportements ont montré ce soir-là l'extraordinaire diversité du monde politique français.

Cette diversité a bien sûr toujours existé. Mais les uns et les autres ne se sont pas crus obligés de rallier un camp et de se ranger derrière un drapeau, celui du plus fort. Les socialistes, les communistes, les gaullistes, les centristes, l'extrême droite ont d'abord parlé en leur nom et n'ont pas hésité à contester le point de vue de leurs propres alliés, de leurs prétendus alliés.

Le paysage politique n'était plus fait ce soir-là de deux couleurs bien tranchées, mais de toute une gamme de couleurs. Les clivages ne passaient plus systématiquement entre la gauche et la droite, mais au sein même de la gauche, comme au sein de la droite.

On pressentait cette évolution en 1984. Elle se confirme en 1985. Elle aura peut-être des conséquences considérables sur la vie politique du pays.

Les « radicaux »

Apparaissent en effet deux sortes de partis. Les partis protestataires et les partis du gouvernement. Les premiers, le parti communiste et le Front national, sont bien sûr aux antipodes l'un de l'autre. Mais ils ont un point commun. Les propositions qu'ils font et l'image qu'ils donnent d'eux-mêmes, entièrement différentes, les privent de toute chance de diriger le pays. Et quand il l'ont, par hasard ou par miracle pour eux, eh bien, ils la brûlent !