Il joue d'abord les androgynes, cheveux longs, Rimmel, robes du soir, l'allure Bacall, fatale mais pas du tout évanescente. Le jeu est conscient, calculé. Avec ce flair incroyable qui lui fait sentir à l'avance les nouvelles exigences du public. Et, s'il sort la carte décadente en 1970-1972, c'est tout simplement parce que le public est las des boy-scouteries babas. Derrière lui, les imitateurs sont légion, qui tous échouent. Bowie possède à fond la maîtrise des médias. Son personnage extravagant retient facilement l'attention.

Catalyseur ou habile récupérateur, David Bowie est indispensable. C'est à travers lui, souvent, que se dessine une nouvelle tendance.

Modes éphémères

Les survivants des années 70 ne connaissent pas toujours le sort d'un Bowie. Si certains demeurent les favoris du public, pour des raisons mystérieuses de charisme personnel (Santana, avril ; Peter Gabriel, juillet), d'autres retournent vers un succès plus proche de celui de leurs débuts que de celui de leur apogée. Pour, le plus souvent, de sombres histoires de mode.

Bo Diddley, un des pères du rock and roll dans les années 50 (pourtant très à la mode), n'attire plus qu'un public clairsemé, tandis que les Stray Cats, qui jouent la même musique dans des vêtements plus acceptables, remplissent sans effort les plus grandes salles. Et que dire de la réunion, pourtant passionnante, de deux grands du british blues des années 60, John Mayall et Mick Taylor, qui fut quand même soliste des Rolling Stones ?

Les groupes de rock doivent prendre un ensemble de phénomènes nouveaux en considération. Malgré la crise économique — ou en réaction contre elle —, le public est friand de modes éphémères. Tel groupe, ou tel chanteur, pour se vendre, doit posséder une image crédible, qui poussera ses admirateurs à s'habiller, se coiffer, à sa manière. Pour compliquer les choses, cela n'est absolument pas une règle. Dans un concert du groupe français Kas Product, seule réponse vraiment intéressante au déferlement de la nouvelle vague anglaise, le public masculin et féminin adopte l'apparence de la chanteuse et du multi-instrumentiste. Ailleurs, on se rendra à un concert d'Hubert-Félix Thiéfaine comme on va au lycée. Chacun de ces artistes se situe à un extrême dans le vaste arc-en-ciel de la production rock en France. L'apparence, pour les premiers, fait partie de leur personnage, de leur feeling. Elle se communique en même temps que leur musique. Et le public réagit en osmose. Pour Thiéfaine, tout passe dans les chansons, la voix qui les porte, l'importance du texte. Et nombreux sont les jeunes qui se retrouvent dans ce climat poétique sur une trame rock and rollienne sans surprise.

Radios libres

Autre phénomène à considérer, pour réussir une percée dans le monde du rock : l'émergence des radios libres, qui diffusent toute la journée une musique s'adressant la plupart du temps à des jeunes. Dans le ronronnement du programme, il devient difficile de se faire remarquer par un son différent. Il est cependant recommandé de ne pas se lancer dans une recherche trop compliquée, sous peine de ne pas être diffusé. La bataille pour le hit-parade est un véritable casse-tête, entre désir de séduire et volonté de s'imposer avec des idées originales. Pour couper court à ce fâcheux dilemme, certains rockers préfèrent la voie difficile d'une certaine pureté-dureté, à l'écart de toute préoccupation commerciale.

Antidote

Une frange de plus en plus importante du public leur est reconnaissante de ne pas se laisser aller aux compromissions de la mode et de l'argent. Curieusement, la plupart de ces formations viennent des États-Unis, où ces valeurs ont l'importance que l'on sait. Les Real Kids de Boston (février) ou les Fleshtones de New York (octobre) jouent un rock and roll dru, plein de vitalité et de swing, qui agit comme un antidote contre les poisons subtils distillés par les groupes électroacoustiques. Il n'en faut pas plus pour que la plupart de ces musiciens deviennent légendaires, comme Johnny Thunder (septembre), qui maintient vivante l'image du rock tel qu'en lui-même il est né : puissant, subversif et sensuel.

Le jazz vivant toujours

Cette année est marquée par la mort, le 3 mai, d'une grande voix du blues, Muddy Waters, pionnier du blues électrifié. Le blues, lui, reste bien vivant. Tandis que les musiciens blancs le redécouvrent avec George Thorogood, Stevie Ray Vaughan ou le Français Bill Deraime, de jeunes Noirs continuent, à Chicago ou dans les bars du Texas et du Mississippi, à perpétuer sa tradition. Et, quand il débarque en Europe, il rencontre toujours le même accueil, enthousiaste. Au festival de Montreux (juillet), les ténors comme Buddy Guy, John Lee Hooker et le grand compositeur Willie Dixon animent une des meilleures soirées. Ils étaient entourés de musiciens, blancs et noirs, beaucoup plus jeunes. La relève semble donc assurée.