Les créations de prestige n'auront pas manqué, du populaire à grand spectacle à la sophistication la plus raffinée. Pour la grosse cavalerie à succès, on retiendra par exemple les deux mises en scène de Jérôme Savary : l'une goguenarde, insolente et brouillonne, dans sa ligne habituelle, avec Superdupont — qui nous aura valu la participation inattendue d'Alice Sapritch au Magic Circus —, et l'autre beaucoup plus sage puisqu'il s'agit d'un Cyrano de Bergerac jouant avec franchise le jeu de l'épique et de la larme à l'œil cocardière. Les trois mousquetaires, selon Marcel Maréchal, auront également ravi les foules qui cherchent au théâtre un divertissement sans problème, le simple plaisir d'y retrouver une âme d'enfant... Ou une âme tout court, quand il s'agit de suivre au Palais des Sports les aventures évangéliques d'Un homme nommé Jésus, dont Robert Hossein a voulu faire une superproduction à la Cecil B. De Mille, quelque chose comme la plus grande crèche du monde, à l'usage des comités d'entreprise et des patronages réunis...

Comédie-Française
Un créatif à la barre

L'homme à qui l'on a confié le destin de la Comédie-Française à partir du 1er août 1983 est le plus jeune administrateur général de son histoire. Jean-Pierre Vincent a 41 ans cette année. Mais ce petit brun au regard sévère, décidé — qui aime néanmoins à rire, au dire de ses familiers — a déjà un notable passé théâtral derrière lui. Compagnon de Chéreau dès ses débuts, au lycée Louis-le-Grand, puis de Jean Jourdheuil, avec lequel il allait fonder plus tard le théâtre de l'Espérance, c'est en 1968 que ce comédien, encore obscur, s'est fait connaître comme metteur en scène, grâce à une remarquable présentation de la Noce chez les petits-bourgeois, de Bertolt Brecht. Allaient suivre plusieurs créations d'œuvres contemporaines, notamment Capitaine Schelle, capitaine Eçço, de Rezvani, et En r'venant d'l'Expo, de Jean Claude Grumberg, sans oublier quelques classiques anciens et modernes, Goldoni, Büchner ou Labiche, revus et décapés avec une intelligence radicale. Nommé en 1974 directeur du Théâtre national de Strasbourg par Michel Guy, alors ministre de la Culture, Vincent se constitue un véritable brain-trust de dramaturges et d'auteurs, sur le modèle allemand. On doit à ce collectif quelques-unes des plus intéressantes représentations de cette période : Germinal, d'après Zola, l'extraordinaire et accusateur Palais de justice, un Misanthrope d'une rare violence, et divers autres spectacles, comme Vichy-Fictions ou les Dernières nouvelles de la peste, qui savaient tirer un parti scénique fort brillant de sujets souvent ardus ou polémiques, mais en prise directe avec les réalités de notre temps.

Dans la Maison de Molière, Jean-Pierre Vincent et ses fidèles vont sans doute appliquer des méthodes nouvelles, plus dogmatiques, et qui bousculeront un peu les habitudes paresseuses, la hiérarchie et certaines traditions désuètes. L'intention proclamée est d'y préparer l'art dramatique du XXIe siècle. Mais, comme ses prédécesseurs immédiats, Vincent est avant tout un acteur, qui partage avec les sociétaires un commun respect du métier. Au-delà des esthétiques peut-être divergentes — moins qu'on ne l'imagine, cependant —, ils auront toujours un terrain de rencontre et d'entente : l'amour du théâtre.

Magie des lumières

Dans le genre féerique, on n'oubliera pas non plus de sitôt l'une des révélations de l'hiver : le merveilleux Oiseau vert de Carlo Gozzi, dépoussiéré par l'humour et la fantaisie de Benno Besson. Et l'on peut gager que les Sortilèges d'Alfredo Arias, conte inspiré des métamorphoses de La belle et la bête, séduiront les fidèles du groupe TSE. Qui se souvient des Peines de cœur d'une chatte anglaise sait que les masques lui ont toujours porté chance. On voudrait ajouter à ces rêveries poétiques le très bel Opéra de Smyrne, d'après Goldoni, tel que Jean-Claude Penchenat et sa troupe du Campagnol nous l'ont proposé à Antony. Mais trop de recherches vocales, trop de subtilités finissaient par en brouiller le dessin, la drôlerie, en ralentir l'allègre mécanique. Une déception relative, après le triomphe incontesté du Bal.