D'entrée, il déclare : « Pourquoi le taire, puisque vous aimez l'authenticité ? Depuis la Deuxième Guerre mondiale, l'Église qui est en France traverse, comme d'autres, une crise profonde, et manifeste dans cette mutation une certaine fatigue spirituelle. » Il ajoute qu'il ne faut pas « laisser pour compte la masse des fidèles » quand on se préoccupe de « rejoindre le monde des travailleurs et des pauvres », qu'il faut rénover paroisses, séminaires et couvents plutôt que les supprimer. Il dénonce « un esprit critique d'avant-garde, même dans des revues catholiques, ou d'origine chrétienne ». Enfin, il dit son « étonnement douloureux » devant un certain nombre de réalités : problème des vocations, « liturgies inadmissibles », « apathie spirituelle » de prêtres, « évolution surprenante de tel ou tel mouvement d'Action catholique », et ainsi de suite.

De tels propos font évidemment grand bruit. La presse parle de « semonce », « mise en garde », « remontrances », « sévère rappel à l'ordre ». Les évêques et une partie des journaux catholiques répondent qu'il n'en est rien, que le pape a repris en fait les rapports que les évêques eux-mêmes lui avaient adressés, et que le mot « bilan » conviendrait mieux pour qualifier son discours.

Mais il ne fait pas de doute que Paul VI est très préoccupé par la situation de l'Église de France depuis que s'est déclenchée ce qu'on appelle l'affaire Lefebvre.

France

Le dimanche 26 février 1978, le Te Deum est chanté dans l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris. Ceux qui l'occupent célèbrent ainsi le premier anniversaire de leur prise de possession du bâtiment. Dans le même temps, les paroissiens habituels de Saint-Nicolas, réduits à se réunir dans des locaux de fortune, annoncent qu'ils se sont constitués en Association de défense et protestent contre l'inexécution des décisions de justice : le 13 juillet 1977, la cour d'appel de Paris avait ordonné l'évacuation de l'église avant le 31 août. Le 22 février 1978, le cardinal François Marty constate avec quelque amertume lors d'un déjeuner de presse : « En 1965, je ne pensais pas que les portes d'une église paroissiale de Paris seraient fermées à son archevêque. Je ne croyais pas à la crise intégriste. L'unanimité des évêques du monde entier était telle qu'on ne pouvait envisager une contestation organisée. » Il ajoute : « Je persiste à croire que c'est là une péripétie. Péripétie douloureuse pour la France surtout, car la crise n'est pas mondiale (...). Il appartient aux pouvoirs publics de faire leur devoir. Il nous appartient à nous de tendre la main de la communion dans la foi. »

Modération

L'affaire de Saint-Nicolas illustre bien le trouble suscité dans une fraction de l'opinion catholique par les positions de Mgr Marcel Lefebvre. Sans doute les propos et les actes du fondateur d'Ecône obtiennent-ils moins d'écho qu'en 1976. Mais il poursuit son action sans désemparer. Le 29 juin 1977, il a ordonné 13 nouveaux prêtres en dépit des mises en garde vaticanes, et il a visité ensuite plusieurs diocèses français. Dans la seconde quinzaine de juillet, il se rend en Amérique latine où il est assez fraîchement reçu, y compris, note Radio Vatican, par « les évêques considérés comme les plus conservateurs ». C'est que la dévotion au pape reste grande en ces pays. Le gouvernement mexicain va jusqu'à interdire au prélat l'entrée de son territoire. Le gouvernement argentin lui-même se montre plus que réservé.

Au Vatican pourtant, le ton est à la modération. On ne se hâte pas de sanctionner, bien qu'à Noël Mgr Lefebvre publie à Ecône un opuscule d'une soixantaine de pages intitulé Le coup de maître de Satan, dans lequel il renouvelle ses attaques contre Paul VI. Au nombre de ses griefs figurent la visite du pape à l'ONU, « véritable temple maçonnique », le voyage en Israël au cours duquel Paul VI prit contact avec le grand rabbin de ce pays, celui de Bogota considéré comme un « soutien inacceptable aux guérilleros », et la rencontre avec le patriarche Athenagoras de Constantinople, « lequel eut par la suite un enterrement maçonnique ».

Marxisme

Ce libelle suscite peu de réactions dans l'opinion catholique. À la veille des élections, celle-ci s'intéresse plus volontiers, comme elle l'a fait ces dernières années, à la question délicate des rapports entre politique et foi. Le 6 juillet, l'épiscopat a rendu publics deux textes sur les problèmes posés par la collaboration de chrétiens avec le parti communiste ou d'autres organisations se réclamant du marxisme. Le premier texte, intitulé Le marxisme, l'homme et la foi chrétienne, se présente comme une déclaration fondamentale et émane du Conseil permanent de l'épiscopat. L'autre se veut plus proche des réalités quotidiennes et émane de la commission épiscopale du monde ouvrier. Bien des observateurs croient discerner une différence de ton entre les deux textes. Si l'un rappelle qu'on ne peut concilier foi chrétienne et marxisme et qu'il est impossible d'aligner l'espérance chrétienne sur les visions marxistes du monde et de l'histoire, le deuxième se contente, lui, d'inviter « à la lucidité ceux qui rencontrent le marxisme ».