requin
Les requins hantent l'imagination de l'homme, provoquant la peur mais aussi une fascination qui ne s'est pas démentie au cours des siècles. Si, aux îles Salomon et aux îles Tonga, ils sont vénérés comme des dieux, en Occident ils symbolisent la mort qui surgit de la mer à l'improviste.
1. La vie des requins
1.1. Silencieux et rapide, le requin écume les mers
Les requins sont tous des carnivores qui se nourrissent d'autres animaux vivants, du plus petit au plus grand : plancton, mollusques, calmars, mammifères marins, autres requins. Ils peuvent se montrer très voraces : en analysant le contenu de leur estomac, on a trouvé des restes d'oiseaux de mer et des objets hétéroclites tels que bouteilles ou boîtes de conserve.
Le choix des proies et leur capture varient selon les espèces. Les requins cornus préfèrent les oursins, alors que le grand requin blanc marque une prédilection pour les phoques et les otaries. Trois requins, le requin-baleine, le requin-pèlerin et le requin grande gueule, sont des mangeurs de plancton : ils nagent la gueule béante et filtrent d'énormes quantités d'eau pour en extraire les petits organismes planctoniques.
Certains requins happent ou déchiquettent petits poissons et céphalopodes ; d'autres dépècent phoques, dauphins et lions de mer.
Informés de la présence d'une proie par leurs sens très développés, ils s'en approchent silencieusement. Parfois, ils décrivent des cercles de plus en plus rapides et rapprochés autour du banc de poissons, qui se resserrent alors. Les requins n'ont plus qu'à fouetter l'eau de leur nageoire caudale pour les assommer ou à ouvrir la gueule pour les happer.
Lorsque la proie est plus grande, le requin fond sur elle et, basculant la tête en arrière, la saisit avec sa mâchoire inférieure. Puis, par des mouvements de va-et-vient de sa mâchoire supérieure, il la déchiquette avant de l'avaler.
Certains requins pratiquent une sorte de chasse par aspiration. Pour extraire les proies des cavités où elles vivent, ils se collent à elles grâce à leurs lèvres épaisses, qui jouent le rôle de ventouses. Puis ils aspirent fortement et avalent entièrement leur proie ou prélèvent une « carotte » de chair sur l'animal.
La mâchoire du requin
La mâchoire du requin
Les mâchoires du requin sont formées par le palato-carré (mâchoire supérieure) et par le cartilage de Meckel (mâchoire inférieure, ou mandibule). Le palato-carré n'est pas soudé au crâne, mais attaché par des ligaments et des tissus conjonctifs souples qui permettent une grande ouverture de la mâchoire.
Quand le requin fait le gros dos
Seuls les requins des récifs coralliens défendent leur territoire. Des expériences menées dans l'atoll d'Eniwetok sur le comportement territorial du requin gris de récif ont montré que la présence d'un observateur sur son territoire est perçue comme une menace pour lui. Agressif, il cherche à intimider l'intrus et adopte une nage particulière. Il fait « le gros dos », relève le museau, abaisse ses nageoires pectorales ; il attaquera si l'envahisseur, homme ou animal, persiste dans sa progression.
1.2. Des sens à fleur de peau
Les requins possèdent un ensemble d'organes sensoriels parfaitement adaptés à leur fonction de prédateur.
Ils ont une très bonne ouïe qui leur permet une excellente détection des sons : cela est encore augmenté du fait que les vibrations sonores se propagent plus vite et plus loin dans l'eau que dans l'air. Les requins peuvent ainsi percevoir des vibrations sonores provenant d'une source située à environ 2 km et des vibrations de basse fréquence de l'ordre de 40 Hz (1,5 octave plus bas que la plus basse note du piano) que l'homme ne peut entendre.
Un « toucher à distance »
Les oreilles des requins sont internes et situées dans la boîte crânienne, mais elles sont en communication avec l'extérieur par des canaux endolymphatiques qui s'ouvrent par une paire de pores à la surface de la peau, sur la tête. En outre, les vibrations sonores sont surtout perçues par un organe spécial appelé « système latéral ». Étendu le long du corps, sur les flancs de l'animal avec des ramifications sous le museau, celui-ci est constitué d'une série de canaux sensoriels qui contiennent des cellules sensibles aux vibrations : remplis d'une substance gélatineuse, ils communiquent par des pores avec l'extérieur. Les requins détectent ainsi les déplacements de l'eau et, par conséquent, les mouvements des organismes ou des objets qui les entourent. Cette sensibilité spécifique a été qualifiée de « toucher à distance ». On suppose en effet qu'elle engendre une sensation intermédiaire entre le toucher et l'ouïe.
Contrairement aux idées reçues, la plupart des requins voient très bien. Leur œil est comparable à celui des vertébrés supérieurs, tel l'homme, mais le cristallin, presque sphérique, ne change pas de forme pour s'accommoder aux modifications de la lumière. Celle-ci est réfléchie et concentrée par la rétine, permettant une bonne vision en milieu marin, où la lumière est diffuse et atténuée. Doublée d'une couche de cellules pigmentées, la rétine est semblable à celle des chats. Les paupières des requins sont fixes ou mobiles selon les espèces : les carcharhiniformes ont même une troisième paupière inférieure mobile, la membrane nictitante, qui protège l'œil, en cas de choc.
L'odorat des requins est d'une extrême finesse : les narines, sous le museau, sont munies de nombreuses cellules olfactives qui leur permettent de discerner la présence même infime de sang ou d'autres composés chimiques dans l'eau de mer. On pense que cette odeur de sang attire le requin et l'aide à détecter ses proies. Cette faculté est probablement la cause des accidents survenus à des pêcheurs sous-marins qui accrochent leur pêche à leur ceinture.
L'aptitude à reconnaître des composés chimiques faciliterait aussi l'orientation : pour rejoindre d'autres requins ou des femelles de leur espèce, il suffirait aux requins de suivre ces odeurs « à la trace ».
Les requins sont aussi capables de différencier les eaux dans lesquelles ils nagent, selon la quantité de sel qu'elles contiennent. Ils repèrent ainsi géographiquement certains endroits privilégiés de ponte ou de chasse.
Enfin, le requin apparaît comme plus intelligent que les poissons osseux et les oiseaux, si l'on considère le rapport poids du cerveau-poids du corps, test de l'intelligence animale. Malheureusement, seules les espèces supportant la captivité ont pu être testées, et les conditions expérimentales en milieu naturel ne peuvent être contrôlées. On ignore donc encore comment fonctionne un cerveau de requin.
Les ampoules de Lorenzini
Les ampoules de Lorenzini
Enfouies dans la peau des requins comme des petits sacs tapissés, à l'intérieur, de cellules sensorielles, ces ampoules, baptisées du nom de l'anatomiste italien qui les a décrites, aboutissent par des canaux à la surface de la tête et sous le museau. Grâce à ces récepteurs sensibles aux champs électriques, les requins localisent des proies, même dissimulées, et s'orientent dans le champ magnétique terrestre.
1.3. Chez les requins, l'amour est violent
L'accouplement des requins se passe, dans la grande majorité des cas, dans la nuit des profondeurs marines. Les quelques rares scènes qui ont pu être observées à la lumière du jour, proches de la surface, laissent penser que ces animaux font précéder leurs ébats de parades amoureuses.
Pour stimuler l'accouplement – qui peut durer de quelques secondes à quelques heures –, le requin s'agrippe à la femelle en saisissant entre ses dents l'une des nageoires pectorales de celle-ci, et il n'est pas rare de rencontrer des femelles qui présentent des cicatrices sur le dos, les flancs et les nageoires pectorales.
Quel que soit le mode de reproduction, la fécondation se passe toujours à l'intérieur de la femelle, grâce à l'organe copulateur du mâle (ptérygopode) qui est la transformation du bord postérieur des nageoires pelviennes de l'animal. Ces organes ne sont pas en relation directe avec les testicules, qui se trouvent dans la cavité abdominale. Les papilles uro-génitales émettent le sperme au niveau du cloaque, puis la glande siphonale, à la base de la nageoire pelvienne et qui s'ouvre près de l'origine du ptérygopode, absorbe le sperme avant qu'il ne soit injecté dans les voies génitales de la femelle.
Pendant l'accouplement, un seul ptérygopode est introduit, son extrémité se dilate, exposant des petits cartilages en forme de crochet, d'épine ou d'éperon qui permettent l'accrochage.
Comment naissent les bébés requins ?
Il existe chez les requins trois modes de reproduction.
Les requins ovipares pondent des œufs, généralement de grande taille, directement dans l'eau. Ainsi les roussettes pondent des œufs enfermés dans une coque cornée résistante (oothèque) qu'elles attachent à un support sur le fond de la mer. Les requins cornus et certains requins-tapis sont aussi ovipares. Les oothèques du requin de Port Jackson ont une forme de cône spiralé d'environ 15 cm de long que la femelle « visse » dans une fissure rocheuse. Après une période d'incubation, l'œuf libère dans la mer un jeune requin.
Les requins ovovivipares se reproduisent par œufs aussi, mais ceux-ci se développent et éclosent à l'intérieur du corps de la mère.
Il semble que les espèces ovipares et ovovivipares soient surtout des requins vivant au fond des mers et que les requins vivant en pleine eau se reproduisent plutôt selon un autre mode : la viviparité. Les portées varient de 2 ou 4 petits à quelques dizaines de jeunes selon les espèces, et la gestation est souvent supérieure à un an (elle peut aller jusqu'à 24 mois, chez le chien de mer, par exemple).
Les embryons des requins vivipares se développent dans l'utérus de la mère à partir des réserves nutritives issues du placenta, et les jeunes animaux naissent complètement formés.
L'oophagie
L'oophagie
Quelques requins comme le requin-taupe, le requin-renard, le mako et le requin-taureau présentent un mode de développement très particulier appelé « oophagie » : les embryons les plus forts se nourrissent des œufs non fécondés et des autres embryons plus faibles. Ce phénomène a été qualifié de « cannibalisme intra-utérin ». La voracité de certains de ces embryons est telle qu'on rapporte même le cas d'un scientifique mordu par un de ces petits monstres alors qu'il disséquait la mère ! Ce phénomène atteint son paroxysme chez le requin-taupe, Isurus paucus, qui ne donne naissance qu'à deux jeunes requins, ceux-ci ayant dévoré tous leurs frères et sœurs !
1.4. Milieu naturel et écologie
Les requins existent dans tous les océans. Certains fréquentent même les mers froides, comme la laimargue du Groenland (Somniosus microcephalus) et la laimargue du Pacifique (S. pacificus). Il semble qu'ils ne s'aventurent pas dans les parages du continent Antarctique. Mais c'est sous les tropiques qu'ils sont les plus diversifiés et les plus abondants. Quelques espèces, cependant, pénètrent ou vivent en eau douce. Il arrive, par exemple, au requin-bouledogue (Carcharhinus leucas), espèce côtière, de remonter dans les fleuves et de maintenir des populations lacustres comme celles des grands lacs du Nicaragua. Sur les rives du Gange et de l'Indus, le requin du Gange (Glyphis gangeticus) a une réputation de « mangeur d'homme », mais elle n'est pas prouvée ; il est couramment pêché dans l'estuaire de la rivière Hooghly.
Les requins, à ces quelques exceptions près, sont marins et se rencontrent depuis la côte jusqu'aux profondeurs abyssales. La plupart des espèces vivent, entre la surface et – 200 m, autour des îles et sur les plateaux continentaux, ces rebords de la plaque des continents qui les prolongent sous la mer. Les carcharhiniformes dominent sur les plateaux, et les squaliformes peuplent les pentes continentales qui surplombent les grands fonds : certains descendent même jusqu'à plus de 3 000 m de profondeur (un squalelet féroce, Isistius brasiliensis, petit requin océanique de 50 cm de long qui vit autour des tropiques, a été capturé par 3 500 m de fond). Quelques espèces, comme le requin océanique Carcharhinus longimanus, sont hauturières, c'est-à-dire de haute mer.
Un corps adapté selon les milieux
Pour des raisons que l'on ignore, un prédateur montre souvent une préférence pour des proies bien précises, dédaignant totalement d'autres proies potentielles tout aussi comestibles. En fait, chaque espèce de requin est bien adaptée à son environnement, et les variations morphologiques (du corps et des dents notamment) en sont des manifestations. L'exemple le plus remarquable est celui des dents : on peut en effet distinguer chez les requins, différents types dentaires (coupeur, arracheur, agrippeur, broyeur) en relation avec leur mode de vie. En habitat benthique (du fond des mers), les différents types dentaires existent car la nourriture est abondante et variée, mais, en habitat pélagique (en haute mer) et profond, la nourriture étant plus rare et moins variée, l'adaptation dentaire a privilégié les types arracheur et coupeur-agrippeur.
Les grands prédateurs comme les lamnidés ont des dents du type coupeur, aplaties, triangulaires, avec des arêtes tranchantes qui leur permettent de prélever d'importantes bouchées dans la chair de leurs proies.
De même, les dents du grand requin blanc adulte sont adaptées pour couper de gros morceaux de chair dans des proies de grande taille ; mais les dents des jeunes requins blancs sont plus fines, plus conformes à leur régime ichtyophage.
Le type coupeur est particulièrement développé chez les squaliformes, dont les dents aplaties à pointe inclinée sont disposées en une rangée fonctionnelle formant une lame tranchante.
Dans le type arracheur, comme chez le requin-mako et le requin-taureau, il y a plusieurs rangées de dents fonctionnelles, les pointes sont multiples, effilées et les arêtes tranchantes.
Certains requins benthiques sont du type broyeur ; les émissoles du genre Mustelus, par exemple, ont de nombreuses dents grenues, disposées en quinconce pour former un pavement robuste permettant le broyage des carapaces des crustacés et des coquilles de mollusques.
Les requins filtreurs de plancton, comme le requin-baleine et le requin-pèlerin, ont de nombreuses dents, mais elles sont minuscules et non fonctionnelles : le requin-baleine filtre sa nourriture en aspirant activement l'eau dans son énorme gueule, provoquant un tourbillon à la base duquel se concentrent les organismes qui sont ensuite avalés ; le requin-pèlerin, lui, retient sa nourriture en filtrant passivement l'eau, le plancton est retenu par des petits peignes (les branchiospines) au niveau des branchies, englués de mucus qui est avalé périodiquement. Une adaptation extraordinaire du mode de nutrition planctonophage a été observée chez le requin grande gueule, Megachasma pelagios, chez lequel les lèvres hébergent des organismes microscopiques bioluminescents qui serviraient de leurre pour attirer les petites crevettes dont se nourrit ce requin pélagique.
Quelques requins ont développé des adaptations morphologiques remarquables, mais pas toujours compréhensibles. Par exemple, la queue démesurée des requins-renards (alopiidés) est une arme redoutable qu'ils utilisent habilement pour effrayer et assommer les petits poissons (sardinelles, harengs). Mais les expansions céphaliques latérales caractéristiques des requins-marteaux sont une adaptation énigmatique. Sont-elles destinées à accroître la facilité des mouvements ? Ces expansions joueraient alors un rôle semblable à celui des ailerons de navigation des hydroglisseurs. Ou bien permettent-elles une meilleure détection visuelle ou olfactive, les yeux et les narines étant situés aux extrémités de ces expansions ?
Certaines adaptations concernent la coloration. D'une manière générale, les requins présentent des colorations qui leur permettent de passer inaperçus dans leur milieu. Ainsi, les requins benthiques ont souvent des livrées avec des taches, des ocelles, des bandes colorées, mimétiques des fonds sur lesquels ils vivent. Les requins pélagiques hauturiers, comme le requin bleu et le requin océanique, ont le dos et les flancs bleutés et le ventre blanc ; cette coloration « à contre-jour » leur permet d'être pratiquement invisibles en pleine eau.
Des compagnons inattendus : les poissons-ventouses et les poissons-pilotes
Les requins sont parfois associés à d'autres poissons. Un exemple bien connu est celui des poissons-ventouses, ou rémoras (échénéidés), qui ont leur première nageoire dorsale transformée en un disque adhésif leur permettant de se fixer sur leur hôte, généralement un requin ou une raie manta de grande taille. Les rémoras bénéficient de la protection, du transport et, dans une certaine mesure, de la nourriture du requin, mais ils peuvent aussi mener une vie libre et indépendante. Les jeunes rémoras se réfugient souvent dans les cavités buccale et branchiale, tandis que les adultes se fixent préférentiellement sur la face ventrale de leur hôte.
Un troisième partenaire vient parfois compléter l'association ; il s'agit du poisson-pilote, Naucrates ductor (carangidés), que l'on observe nageant en général à proximité de la tête du requin. En fait, ce poisson-pilote ne « guide » pas le requin, mais il semble plutôt profiter de l'onde hydrodynamique qui se produit à l'extrémité du museau quand le requin se déplace. Le phénomène surprenant dans ces associations est que ni les poissons-pilotes, ni les rémoras ne sont mangés par le requin !
L'osmorégulation
L'osmorégulation est l'ensemble des processus biologiques par lesquels un animal aquatique équilibre son milieu intérieur avec le milieu environnant. Lorsque deux milieux séparés par une membrane biologique ont des concentrations en sel différentes, il y a diffusion d'eau du milieu moins salé vers le milieu plus salé jusqu'à équilibre des concentrations (osmose).
Les organismes comme les poissons marins en général et les requins en particulier, qui vivent dans un milieu sursalé par rapport à leur milieu intérieur, se déshydrateraient s'ils ne compensaient leur perte en eau par des systèmes régulateurs.
Les poissons osseux compensent leur perte hydrique par l'absorption d'eau, ils sont condamnés à boire l'eau de mer dans laquelle ils vivent !
En revanche, les requins ont développé un système de régulation original pour maintenir la stabilité de leur milieu intérieur : leur sang contient en effet des composés azotés, urée et oxyde de triméthylamine, en concentrations élevées qui lui confèrent une certaine pression osmotique assurant l'équilibre entre leur milieu intérieur et le milieu marin. Tout se passe comme si ces composés azotés donnaient au sang une certaine « salinité » équilibrant celle du milieu extérieur. Les requins capables de vivre en eau douce ont des concentrations sanguines en composés azotés nettement moindres.
2. Zoom sur... le grand requin blanc
2.1. Grand requin blanc (Carcharodon carcharias)
Le grand requin blanc passe, aux yeux du public, pour l'archétype des requins. Les médias ont contribué à entretenir cette image d'un animal qui, notons-le, n'a de blanc que le ventre, son dos étant d'un gris-brun, et qui conserve tout son mystère. De par sa taille, sa rareté, son mode de vie sédentaire et sa grande mobilité, il pose des questions nombreuses, par exemple combien en existe-t-il, comment et quand s'accouplent-ils, combien de temps vivent-ils ? Les biologistes en sont réduits à des estimations. C'est ainsi que, peu de femelles gravides ayant été capturées, le mode de reproduction ovovivipare des grands requins blancs n'a été connu que dans les années 1980, et l'on suppose aussi qu'ils pratiquent l'oophagie comme les autres lamnidés.
Le grand requin blanc est un solitaire qui aime les grands espaces ; cependant, des petits groupes ont été observés autour de carcasses de baleines, de navires-usines et à proximité des colonies de pinnipèdes (phoques, otaries). Le grand requin blanc est pratiquement cosmopolite, il a été signalé dans tous les océans, mais il préfère les eaux tempérées, notamment celles des côtes nord-américaines du Pacifique et de l'Atlantique, celles des côtes sud-africaines et sud-australiennes. Sous les tropiques, il est assez rare et se situe plus en profondeur.
Le grand requin blanc atteint avec certitude la taille de 6,40 m de long, d'après un spécimen capturé à Cuba en 1945 et pesant environ 3,2 tonnes. Des requins plus grands ont été signalés, mais leur taille n'a jamais été mesurée avec précision ; toutefois, on estime aujourd'hui que l'espèce pourrait atteindre la taille de 8 m de long. La croissance du grand requin blanc n'est en fait pas connue avec précision. Chez les spécimens de l'Atlantique, elle semble lente, de l'ordre de 20 cm par an. La taille à la naissance se situe entre 100 et 150 cm. En Atlantique, les mâles atteignent la maturité sexuelle quand ils ont une taille de 3 à 4 m, soit un âge de 9 à 10 ans ; la maturité des femelles est supposée se produire à une taille légèrement plus grande.
Le grand requin blanc est un excellent nageur grâce à son corps fuselé et à sa puissante nageoire caudale. Il croise habituellement à proximité des côtes ou au voisinage des îles océaniques, explorant son territoire : l'utilisation de marqueur acoustique a permis de suivre un animal sur environ 190 km pendant 2 jours et demi, soit à une vitesse moyenne de croisière d'environ 3 km/h. Les pointes de vitesse dont il est capable pour attaquer une proie ont été estimées à environ 25 km/h.
Son régime alimentaire varie avec l'âge : les jeunes sont surtout ichtyophages (ils mangent des poissons), tandis que les adultes semblent friands de petits mammifères marins (phoques, otaries, éléphants de mer...). En fait, leur régime relativement éclectique, comporte occasionnellement des tortues et des oiseaux de mer. Parfois nécrophages, ils ne dédaignent pas les carcasses diverses de baleines, dauphins, etc. Le grand requin blanc adopte une stratégie particulière lorsqu'il chasse les phoques, otaries et autres pinnipèdes susceptibles de lui infliger des blessures sérieuses au niveau du museau. En effet, il attaque toujours brutalement et par surprise, jamais de face, le plus souvent derrière et sous la proie. La première morsure portée a pour effet d'affaiblir la proie par hémorragie, le requin peut revenir alors la dévorer en toute quiétude. Si le grand requin blanc vient en tête des requins très dangereux, sa réputation de « mangeur d'homme » est bien surfaite, l'homme n'étant pas sa proie favorite.
GRAND REQUIN BLANC | |
Nom : | Carcharodon carcharias |
Famille : | Lamnidés |
Ordre : | Lamniformes |
Classe : | Chondrichtyens (poissons à squelette cartilagineux) |
Identification : | Grandes dents, triangulaires et aplaties, en forme de fer de lance, avec des arêtes denticulées et tranchantes. Corps de couleur gris-brun et ventre blanc |
Taille : | 6,40 m de longueur – avec certitude – mais peut atteindre 8 m de long (estimation par calcul) |
Poids : | Environ 3 tonnes pour un spécimen de 6,50 m de long |
Répartition : | Côtes sud-australiennes, sud-africaines et nord-américaines du Pacifique et de l'Atlantique. Parfois Atlantique oriental (Portugal, Espagne), et Méditerranée (France, Italie, Algérie) |
Habitat : | Exclusivement marin. Côtier dans les mers tempérées ; plus en profondeur dans les mers plus chaudes ; eaux de surface au-dessus du plateau continental |
Régime alimentaire : | Poissons osseux, autres requins, calmars, petits mammifères marins, tortues marines, oiseaux de mer |
Structure sociale : | Solitaire, rarement grégaire. Parfois petits groupes |
Maturité sexuelle : | Atteinte vers 9 ou 10 ans, soit pour une taille de 3 à 4 m |
Mode de reproduction : | Ovovivipare, avec oophagie probable |
Saison de reproduction : | Inconnue |
Durée de gestation : | Inconnue, probablement plusieurs mois |
Nombre de jeunes par portée : | Jusqu'à 9 (une seule observation) |
Taille à la naissance : | De 90 à 150 cm de longueur totale |
Longévité : | Environ 27 ans (estimation par calcul) |
Effectifs, tendances : | Taille des populations inconnue ; probablement surexploité et peut-être en danger dans un futur proche |
Remarque : | Requin encore peu connu des biologistes ; inscrit à l'Annexe II de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction) |
2.2. Signes particuliers
Dents
Elles ne sont pas implantées dans les alvéoles des mâchoires comme chez les poissons osseux et les vertébrés supérieurs (l'homme, par exemple), mais dans les gencives. Elles se renouvellent continuellement grâce à un système qui fonctionne à la manière d'un tapis roulant. Au fur et à mesure que les dents de la première rangée tombent naturellement, elles sont remplacées par d'autres dents qui se redressent et viennent prendre leur place. Un requin peut ainsi produire plusieurs milliers de dents durant sa vie.
Fentes branchiales
Les requins respirent l'oxygène dissous de l'eau, au moyen de branchies communiquant directement avec l'extérieur par des fentes branchiales ouvertes sur les côtés de la tête. Le grand requin blanc en possède cinq paires.
Peau
De petites aspérités, les denticules cutanés ou écailles placoïdes, incrustent, par millions, la peau des requins et la rendent très rugueuse. Constitués de dentine recouverte d'une couche très dure d'émail, ces denticules sont vascularisés, innervés comme les dents, avec une racine ancrée dans la peau et un pédoncule supportant une couronne, seule partie visible. Les denticules se remplacent. Dirigés vers l'arrière, ils augmentent l'hydrodynamisme. De forme variable selon les espèces, ils servent de signes distinctifs.
3. Les autres espèces de requins
Les 385 espèces environ de requins recensées à ce jour se répartissent en 8 ordres et 38 familles. De nouvelles espèces, de profondeur ou provenant de zones peu explorées, sont décrites chaque année. La découverte la plus extraordinaire aura été la capture aux îles Hawaii, en 1973, d'un étrange requin de 4,50 m de long, inconnu jusqu'alors et pour lequel il a fallu définir une nouvelle famille et un nouveau genre. Il s'agit du requin « grande gueule » (Megachasma pelagios). Il est filtreur de plancton comme le requin-baleine et le pèlerin, son corps est mou, ses lèvres charnues « hébergent » des organismes bioluminescents.
Deux ordres, les squaliformes et les carcharhiniformes, représentent près de 80 % des espèces, les carcharhiniformes dominant avec plus de 53 % des espèces.
Les familles les plus diversifiées sont les scyliorhinidés, ou roussettes (15 genres et 94 espèces)et les carcharhinidés (12 genres et 50 espèces).
Les différents ordres de requins
Héxanchiformes
Petit groupe de requins primitifs : 6 ou 7 paires de fentes branchiales, une seule nageoire dorsale, nageoire anale. Requins benthiques des grands fonds.
3 familles : chlamydosélachidés,hexanchidés et notorynchidés.
5 espèces dont : le requin-lézard (Chlamydoselachus anguineus), le requin griset (Hexanchus griseus), le requin perlon (Heptranchias perlo) 2 espèces « quasi en danger ».
Lamniformes
Les plus grands et les plus dangereux requins dont le grand requin blanc (Carcharodon carcharias) et le mako (Isurus oxyrinchus). Cet ordre inclut aussi des requins aux formes étranges comme le requin-lutin (Mitsukurina owstoni), le requin-renard du genre Alopias avec sa queue démesurée, l'énorme requin-pèlerin (Cetorhinus maximus), le plus grand après le requin baleine, et l'extraordinaire requin grande gueule (Megachasma pelagios).
7 familles : lamnidés, cétorhinidés, alopiidés, odontaspididés, mitsukurinidés, mégachasmidés, pseudocarchariidés.
10 genres et 15 espèces, qui ne représentent probablement pas une unité naturelle.
5 espèces « vulnérables », dont le requin-taureau et le requin-taupe.
Carcharhiniformes
Communs dans les eaux tropicales et subtropicales, ils dominent sur le plateau continental.
8 familles : carcharhinidés, scyliorhinidés, triakidés, pseudotriakidés, leptochariidés, hémigaléidés, sphyrnidés, proscylliidés.
48 genres et 206 espèces, dont le requin pointes noires (Carcharhinus melanopterus), toutes les roussettes, les holbiches comme le requin ventru (Cephaloscyllium ventriosum), les émissoles, les requins-chats, les requins-requiems, les requins-marteaux, mais aussi le requin-tigre (Galeocerdo cuvieri) et le redoutable requin bleu (Prionace glauca).
16 espèces « quasi en danger », dont la roussette à tâche jaune, le requin-cuivre, le requin des Galapagos, le requin à tâche noire ; 10 espèces « vulnérables », dont le requin-marteau à petits yeux ; 2 « en danger », le requin de Bornéo et le Grand requin-marteau.
Squatiniformes ou anges de mer
Corps aplati comme celui des raies, mais les fentes branchiales (5 paires) sont latérales.
Requins benthiques qui fréquentent les fonds sableux et graveleux du plateau continental des mers tempérées et tropicales.
Taille moyenne : de 1 à 2 m.
1 famille : squatinidés.
13 espèces du genre Squatina.
4 espèces « en danger » ; 1 « vulnérable ».
Hétérodontiformes ou requins cornus
Forme trapue, dorsales précédées d'une forte épine, une nageoire anale et des dents broyeuses différentes aux deux mâchoires qui sont à l'origine de leur nom.
Requins benthiques, côtiers du Pacifique, communs sur les côtes australiennes.
Taille : 1 m environ.
1 famille : hétérodontidés.
8 espèces du genre Heterodontus, dont le plus connu est le requin de Port Jackson (Heterodontus portusjacksoni).
Orectolobiformes
Formes diverses mais qui ont en commun un museau en groin, des barbillons aux narines, la bouche en position subterminale, des yeux petits, deux nageoires dorsales sans épine et une nageoire anale.
Requins côtiers ou de surface des mers tropicales, de l'Indo-Pacifique, en particulier.
7 familles : brachaeluridés, hémiscylliidés, ginglymostomatidés, stégostomatidés, orectolobidés, rhiniodontidés, parascylliidés.
14 genres et 35 espèces dont le requin-baleine (Rhiniodon typus), le requin-nourrice (Ginglymostoma cirratum), le requin-zèbre (Stegostoma fasciatum) et le requin-tapis, ou requin-carpette.
8 espèces « quasi en danger », dont le requin-chabot gris, le requin-chabot élégant ; 7 espèces « vulnérables », dont le requin-baleine et le requin-nourrice.
Squaliformes ou chiens de mer
Deux nageoires dorsales souvent précédées d'une épine ; mais pas de nageoire anale.
Requins benthiques ou pélagiques, existent sur le plateau continental mais dominent sur la pente continentale. Les plus petits requins sont des squalidés dont le squale nain (Squaliolus laticaudus). Le requin le plus profond (3 675 m) est aussi un squalidé (Centroscymnus coelolepis).
Taille : de 25 cm à plus de 6 m de long.
7 familles, 22 genres: centrophoridés, dalatiidés (dont font partie les laimargues), etmoptéridés (sagres), somnosidés, échinorhinidés, squalidés (dont font partie les aiguillats) et oxynotidés (regroupant les centrines).
99 espèces, dont le squalelet féroce (Isistius brasiliensis), l'aiguillat commun (Squalus acanthias) et le squale pygmée (Squaliolus sarmenti ).
4 espèces « vulnérables », dont l'aiguillat commun, la centrine commune et le squale-chagrin ; 9 « quasi en danger », dont l'aiguillat cirano, la laimargue du Groenland et le squale-moustache.
Pristiophoriformes ou requins-scies
Rostre aplati, allongé et portant des dents latérales.
Requins benthiques du plateau continental ou de profondeur.
Taille maximale : 1,50 m.
1 famille : pristiophoridés, avec 2 genres Pliotrema (6 paires de fentes branchiales), Pristiophorus (5 paires de fentes branchiales).
4 espèces.
2 espèces « quasi en danger », dont le requin scie flutian.
Des requins de toute forme et de toute taille
Des requins de toute forme et de toute taille
Tous les requins n'ont pas la forme « typique » de fuseau allongé qui en fait des nageurs aussi élégants que puissants. Les anges de mer (squatinidés) et les requins-tapis (orectolobidés) ont le corps aplati. D'autres sont trapus, comme le requin-nourrice (Ginglymostoma cirratum), ou de forme « aberrante » comme les requins-scies (pristiophoridés) avec leur rostre pourvu de dents latérales et de barbillons, les requins-marteaux (sphyrnidés) aux bizarres extensions céphaliques latérales, les requins-renards (alopiidés) et leur queue démesurée, les requins cornus (hétérodontidés). Le requin ventru (Cephaloscyllium ventriosum) se gonfle d'eau ou d'air et ressemble à un poisson-globe. Le corps des humantins ou centrines (oxynotidés) est de section triangulaire. Le requin-lutin (Mitsukurina owstoni) se distingue par un rostre frontal « en casquette » au-dessus de la bouche. Les plus grands, le requin-baleine (Rhincodon typus) et le requin-pèlerin (Cetorhinus maximus), de forme massive, ont une immense gueule terminée, chez le premier, par un museau aplati et, chez le second, par un appendice pointu.
Le requin-baleine atteint 12 m de longueur et un poids de 12,5 tonnes, le requin-pèlerin, 10 m et 5 tonnes. L'existence de requins-baleines de 15 à 18 m et celle de requins-pèlerins de 12 à 15 m n'ont jamais été vérifiées scientifiquement à ce jour. Le grand requin blanc (Carcharodon carcharias) mesure 6,50 m pour un poids de 3 tonnes ; et l'espèce pourrait atteindre 8 m de long. Les 6 m de certains requins-marteaux (Sphyrna mokarran) sont rares pour cette espèce. Le requin-tigre (Galeocerdo cuvieri), crédité d'une taille maximale de 9 m, ne dépasse pas, en général, 5 m. Mais la majorité des requins fait moins de 1 mètre, un tiers ne dépassent pas 2 m, et très peu d'entre eux dépassent 4 m. Les plus petits sont le squale nain (Squaliolus laticaudus) et le requin-chat pygmée (Eridacnis radcliffei), de 25 cm de longueur maximale et d'un poids de 10 à 30 g. D'autres squaliformes du genre Etmopterus et le squale pygmée (Euprotomicrus bispinnatus) mesurent, adultes, de 25 à 30 cm.
4. Origine et évolution des requins
Les requins comptent parmi les plus grands poissons actuels. Ce sont des poissons à squelette cartilagineux (chondrichtyens), comme les raies et les chimères. Ils existaient il y a plus de 350 millions d'années, bien avant l'apparition des dinosaures et... de l'homme. Ces proto-requins sont connus surtout par leurs dents, leurs épines dorsales et les denticules cutanés plus fossilisables que le cartilage de leur squelette.
Découvert dans les strates paléozoïques de l'Ohio, aux États-Unis, le plus primitif des requins connus, le Cladoselache, était un requin océanique déjà bon nageur et prédateur puissant. Ses mâchoires étaient attachées au crâne. Il atteignait un peu moins de 2 mètres de long et possédait sur le dos deux nageoires précédées d'une forte épine ; sa queue était symétrique et son squelette devait présenter la dissymétrie des requins actuels. En revanche, ses dents, qui ont été retrouvées, étaient usées ; elles ne devaient pas se renouveler aussi souvent que celles des requins actuels.
Différentes espèces firent alors leur apparition, en compétition avec les poissons cuirassés géants, longs de plus de 6 m, mais leur vitesse et leur agilité leur permirent de survivre malgré leur petite taille. Plus près de nous (il y a 65 millions d'années) vécurent les ancêtres des grands requins blancs, tel le Procarcharodon megalodon, un géant fossile long de 13 m et chacune de ses dents impressionnantes avait la taille d'une main d'homme.
La morphologie des requins se modifia plusieurs fois avant de prendre l'aspect de ceux qui existent aujourd'hui. Quelque 385 espèces ont été répertoriées : regroupées en 8 ordres et en 35 familles, elles témoignent de l'immense diversité de ces animaux. Très bien adaptés à leur milieu respectif, les requins sont présents dans les mers du monde entier.
Après les Dents de la mer, d'autres films à sensation ont réveillé l'intérêt mêlé de crainte que suscitent les requins. Et le nombre des accidents lors des baignades ou des sports nautiques a contribué à fortifier l'image du requin « mangeur d'homme ». Pourtant, seules quelques espèces de requins peuvent devenir dangereuses et cela dans le cas où ils se sentent menacés, quand l'on pénètre sur leur territoire. Apprendre à mieux connaître les requins et à respecter leurs besoins, c'est aussi apprendre à vivre pacifiquement avec eux. En 2008, un film documentaire remarqué, Sharkwater, les seigneurs de la mer, de Rob Stewart, veut réhabiliter cette image et faire prendre conscience des menaces qui pèsent sur cette espèce au sommet de la chaîne alimentaire des mers et océans et essentiel dans l'équilibre de leur écosystème.
5. Les requins et l'homme
Les attaques, aussi déconcertantes qu'imparables, du requin terrifient les hommes, et de nombreux films à sensation ont répandu largement l'image d'un « tueur » monstrueux qui serait toujours à l'affût de nouvelles victimes. En réalité, le requin n'attaque pas souvent l'homme. En revanche, ce dernier l'exploite à des fins multiples et le pourchasse sans relâche à travers toutes les mers du globe.
5.1. Le requin est-il dangereux ?
Le requin devient un danger – potentiel – pour l'homme quand il dépasse 2 m de long ; or, la longueur de la plupart des espèces est inférieure à ces 2 m. Parmi la trentaine d'espèces identifiées lors des attaques, une vingtaine doivent être considérées comme dangereuses ou très dangereuses. Les plus redoutables sont : le grand requin blanc, le requin-tigre, le requin-bouledogue et le requin océanique ; toutes ces espèces, de grande taille, dépassent de beaucoup 2 m. Mais, même dans des régions où les requins abondent, ils attaquent rarement. Et l'on s'interroge encore sur leurs motivations : la faim, l'autodéfense, la protection des ressources ou d'un territoire ?
En 1958, la marine américaine a constitué un fichier mondial des attaques de requins, le « Shark Attack File », ou SAF, afin d'en rechercher les causes. Entre 1990 et 2007, 1 023 attaques ont été recensées dans le monde et moins de 10 % d'entre elles ont été mortelles. Les plongeurs comme les chasseurs sous-marins sont plus exposés que les baigneurs uniquement parce qu'ils s'aventurent plus au large et plus profond. Mais les blessures sont moins graves et le taux de mortalité moins élevé. Par ailleurs, une victime qui perd son sang ne provoque pas forcément la frénésie décrite dans les médias. Le public préférant, pour se baigner, plonger ou pêcher, les eaux chaudes où les requins sont en nombre, les accidents sont plus fréquents ; la région la plus exposée est la Floride (mais les accidents mortels y sont très rares : 4 sur 397 en 17 ans) devant certaines côtes comme au Natal, en Afrique du Sud, en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie et, dans une moindre mesure, en Californie. Dans ces régions « à risque », zones de pêche intensive entraînant un déséquilibre écologique, les requins compenseraient le manque de nourriture habituelle en s'attaquant aux « proies » disponibles... Depuis plusieurs années, sur les côtes dangereuses, des filets maillants clôturent les plages. Le risque, cependant, reste minime ; des millions de personnes sillonnent maintenant les mers, s'y baignent et y plongent sans que le nombre d'attaques, déjà très réduit, ait augmenté : de l'ordre d'une centaine par an, avec une dizaine à une vingtaine de cas fatals. Sur les côtes californiennes, ces dernières années, les surfeurs ont été la cible de quelques attaques. Ce phénomène récent est dû sans doute aux mesures de protection des colonies de pinnipèdes (phoques) qui en accroissent le nombre et, par conséquent, celui des grands requins blancs dont ils sont la proie favorite ; de plus, un surfeur allongé sur sa planche et pagayant de ses bras peut, en vue sous-marine, donner l'illusion d'un phoque...
En cherchant des moyens de prévention, on a découvertque le mucus sécrété par une petite sole de la mer Rouge (Pardachirus marmoratus, ou sole de Moïse) avait un pouvoir révulsif, dû à une toxine, le pardaxine, qui agit au niveau des branchies en modifiant leur perméabilité. On a donc supposé que les détergents synthétiques pourraient agir à la façon du pardaxine. Les tests effectués avec divers détergents industriels ont donné quelques résultats ; mais la crème antirequin n'existe pas encore !
5.2. La capture et la protection des requins
Sans tenir compte du produit de certaines pêches locales et de la pêche sportive ni du tonnage élevé des requins rejetés, environ 200 000 tonnes de requins sur 800 000 tonnes d'élasmobranches (requins, raies, chimères) ont été pêchées chaque année entre 2000 et 2005, selon les statistiques de la FAO. En 2005, les pays venant en tête de cette pêche étaient l'Indonésie, l'Inde, Taïwan, le Mexique, l'Espagne, l'Argentine et les États-Unis, devant le Japon, la Thaïlande, la Malaysia, le Brésil, le Pakistan et la France. Les économies locales tirent des profits substantiels de cette pêche mais, du fait de la biologie particulière des requins (faible fécondité, longues périodes de gestation, croissance lente, migration), leur exploitation intensive provoque parfois un dépeuplement tel que des pêcheries spécifiques périclitent, faute d'un stock rentable de requins. Les requins ont été, en outre, décimés par les filets maillants dérivants, désormais interdits. À partir de la fin des années 1990, la FAO a commencé à s'inquiéter de la baisse des stocks de requins et a proposé un plan d'action international pour une gestion durable de la ressource. Les statistiques de pêche ne donnent cependant qu'une idée approximative de l'importance des populations qui disparaissent. . L'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature) a tiré également la sonnette d'alarme, classant et requalifiant certaines espèces dans les catégories « en danger », « quasi en danger » et « vulnérable ». De son côté, la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction) n'a pu inscrire que le requin pèlerin, le grand requin blanc et le requin-baleine à son annexe II. Le classement du requin-taupe (Lamna nasus) et du squale-chagrin de l'Atlantique (Centrophorus squamosus) dans cette liste a été proposé sans succès par le WWF et le réseau TRAFFIC en 2007.
5.3. L'étude scientifique des requins
Connus depuis Aristote, les requins n'ont cependant réellement fait l'objet de recherches systématiques que depuis environ un siècle et demi. En dépit des recherches sur la biologie et le comportement des requins qui se sont développées depuis la Seconde Guerre mondiale, nos connaissances sont encore fragmentaires dans ces domaines. Jusqu'à présent, l'étude de l'histoire évolutive, de la biologie et du comportement des requins était réduite à quelques observations erratiques.
Les quelques données que nous avons sur la physiologie et le comportement des requins ont été principalement acquises sur un nombre très réduit de requins, devenus matériel de laboratoire : les roussettes Scyliorhinus canicula et S. stellaris, le chien de mer commun Squalus acanthias, le requin cornu Heterodontus portus-jacksoni et le requin-citron Negaprion brevirostris.
Mais il faut se garder de généraliser ces connaissances acquises sur quelques spécimens à la totalité des espèces, très diverses dans leur morphologie, leur biologie et leur comportement.
5.4. L'exploitation du requin
Tout est utilisé dans le requin : la chair, les ailerons, la peau, les dents, le foie et le squelette. La chair est appréciée dans de nombreux pays, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud ainsi qu'en Europe. Elle est commercialisée fraîche, congelée, salée et séchée, mais sous des appellations qui évitent d'en indiquer la provenance. La consommation de la soupe « aux ailerons de requin » - très prisée en Chine et au Japon pour ses vertus soit disant aphrodisiaques - a conduit à la généralisation du « shark finning » qui consiste à ne découper et ne retenir que les ailerons du requin avant de rejeter le reste de l'animal à la mer. Certaines administrations des pêches ont banni ce type de pêche, mais elle reste encore très répandue.
La peau, débarrassée de ses denticules cutanés donne, après tannage, un cuir très résistant pour la maroquinerie, et, si les denticules sont simplement poncés, elle devient le fameux galuchat.
L'huile extraite du foie est très riche en vitamine A et elle a fait la fortune des pêcheries de requins dans les années 1940. De nos jours, l'huile de foie de requin est recherchée pour le squalène, hydrocarbure insaturé dont l'industrie pharmaceutique fait un excipient. Son exploitation n'est rentable qu'avec les espèces au foie riche de plus de 80 % de squalène, taux qui se rencontre chez quelques squalidés de profondeur. Cette huile sert également d'adjuvant pour les peintures et de lubrifiant en mécanique ; c'est aussi une matière grasse pour la cuisson des aliments et un combustible. Son extraction est simple, par cuisson douce des foies dans l'eau. Le foie du requin peut représenter jusqu'à 25 % du poids de son corps, et 100 kg de foie donnent de 40 à 80 litres d'huile !
L'intérêt économique de ces utilisations apparaît surtout dans les pays en voie de développement. Avec les dents de certaines espèces, on fabrique des colliers et des pendentifs ; celles du requin-tigre et du grand requin blanc sont très recherchées, et les mâchoires sont vendues comme des curiosités dans les boutiques de souvenirs des régions touristiques. Avec les vertèbres, on confectionne des colliers artisanaux et des cannes. Le squelette, de nature cartilagineuse, peut être transformé en chondroïtine, sorte de gélatine, et des extraits de cartilage semblent avoir un pouvoir curatif dans le traitement de certains cancers. Les carcasses donnent de l'engrais, de la farine de poisson et des appâts pour les casiers à crustacés. Le sang des requins contient des composés aux propriétés anticoagulantes, et des cornées de requin ont été greffées avec succès sur des yeux humains.
5.5. Requins spectacle
De gigantesques aquariums (marinelands) ont été construits, ces vingt dernières années, surtout aux États-Unis. Ces « marinelands » ont facilité les recherches des scientifiques : contrôle rigoureux de la qualité de l'environnement ; études sur l'excrétion, motivées par les problèmes de nitrification des déchets dans les bassins ; recherches sur les régimes alimentaires des requins en captivité, ou encore sur les rythmes biologiques en rapport avec l'illumination des bassins, la respiration et l'oxygénation de l'eau, la biologie comportementale et la cohabitation des espèces, etc.
Les agents de tourisme, de leur côté, exploitent le requin « spectacle » en organisant, à l'intention des amateurs de sensations, des rencontres avec divers requins tropicaux. Les plongeurs audacieux peuvent côtoyer le grand requin blanc dans son milieu ; mais derrière les barreaux d'une cage de sécurité !
Ces barreaux sont en acier de haute élasticité, extrêmement résistant : ils peuvent supporter des attaques d'animaux pesant jusqu'à 2 tonnes. Aux Maldives, on peut aussi voir un guide donner aux requins-dagsits de la nourriture qu'il tient dans sa bouche. De même, en Australie, à Osprey Reef, au nord de la mer de Corail, des touristes assistent à un spectacle extraordinaire : on descend des appâts au fond de la mer (20 m environ), et les spectateurs voient des requins-tigres, des requins-marteaux, des requins-dagsits qui viennent déguster les proies.
Enfin, la pêche au requin est devenue un divertissement. C'est pourquoi l'International Game Fish Association (IGFA) a reconnu l'intérêt récréatif et sportif de quelques requins. Chaque année, l'IGFA homologue et publie un catalogue des records mondiaux. Ces records ne sont pas des records absolus puisqu'il s'agit de prendre le plus gros poisson avec la ligne la plus faible possible.