rationalisation
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin ratio, « calcul, raison ». En allemand : Rationalisierung, du français « rationaliser ».
Psychanalyse
Justification d'un comportement par des arguments logiques, alors que les motifs en sont méconnus, souvent inconscients.
Théorisé par Jones (la Rationalisation dans la vie quotidienne, 1908), le processus est déjà décrit par Freud dans le cas de patients qui obéissent à une suggestion posthypnotique et qui la justifient par un argument rationnel(1). De même, la rationalisation donne cohérence et apparence de raison aux actes compulsifs, aux délires paranoïaques, aux interdits et aux rituels religieux. Dans l'économie générale de l'appareil psychique, le moi camoufle les vœux du ça et ses propres défenses pour sembler se conformer aux impératifs de la « raison »(2).
En psychologie collective, la rationalisation participe des rites et rituels religieux, justifie les tabous et autorise le sacrifice. Chez le criminel par culpabilité, le passage à l'acte est paradoxalement une rationalisation : ici, Freud rejoint Nietzsche à propos du « pâle criminel »(3).
Benoît Auclerc
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Freud, S., Die Traumdeutung, 1900, G.W. II-III, « L'interprétation des rêves », PUF, Paris, 1999, p. 153.
- 2 ↑ Freud, S., Das Ich und das Es, 1923, G.W. XIII, « Le moi et le ça », OCFP XVI, chap. V, PUF, Paris, 1996, p. 286.
- 3 ↑ Nietzsche, F., Also sprach Zarathustra (1883-1885), « Ainsi parlait Zarathoustra », Club du meilleur livre, Paris, pp. 34-36.
→ ça, contrainte, culpabilité, défense, élaboration, surmoi
procès de rationalisation occidentale
Sociologie
Expression centrale de la sociologie de M. Weber, souvent utilisée par les sociologues du xxe s. comme un paradigme possible d'une sociogenèse de la modernité, et reprise notamment, avec quelques inflexions, par N. Elias.
Sous l'expression « procès de rationalisation occidentale », Weber développe le thème d'une matrice commune aux transformations qu'ont connues en Occident, entre les xve et xixe s. approximativement, des aspects de la civilisation aussi différents que l'organisation économique, les formes de la domination et de l'administration politiques, la doctrine et la pratique juridiques, le style des sciences, la musique, l'architecture, etc.(1) Un certain nombre de lectures récentes ont fait de ce thème le fil conducteur permettant de reconstituer la cohérence de l'œuvre wébérienne en son ensemble(2). Le succès de cette expression est à la mesure de son imprécision, dans la mesure où Weber n'a jamais fourni de définition univoque de la rationalité, ni précisé le caractère commun qui justifie de voir dans l'ensemble des phénomènes évoqués les expressions polymorphes d'un seul et unique procès. Les travaux de Elias(3) reprennent le thème wébérien, tout en essayant de développer à partir de ce thème une théorie générale du développement de la civilisation. Au regard de cette tentative, le mérite du comparatisme wébérien, qui ne prétend pas fournir autre chose qu'une contribution à une typologie des formes de rationalisation(4), est de laisser ouverte la possibilité de voies d'accès diversifiées à la modernité.
Catherine Colliot-Thelene
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Weber, M., Sociologie des religions, Avant-propos, Gallimard, Paris, 1996, pp. 489-508.
- 2 ↑ Schluchter, W., Die Entwicklung des okzidentalen Rationalismus, Tübingen, 1979 ; Tenbruck, F., Das Werk Max Webers, in Gesammelte Aufsätze zu Max Weber, H. Mohr, Tübingen, 1999 ; Habermas, J., Theorie des kommunikativen Handelns, Suhrkamp, Francfort, 1981 (trad. « Théorie de l'agir communicationnel », 2 vol., Fayard, Paris, 1987).
- 3 ↑ Elias, N., Über den Prozess der Zivilisation, Suhrkamp, Francfort, 1997 (trad. « La civilisation des mœurs », France Loisirs, Paris, 1997 et « La dynamique de l'Occident », Presses Pocket, Paris, 1990).
- 4 ↑ Weber, M., Sociologie des religions, op. cit., Introduction, pp. 365-366.